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matin même du jour où la réunion a eu lieu. Au reste, les motifs de cette réunion ont ici un intérêt secondaire ; c’est la réunion elle-même qui importe ; c’est le procédé nouveau au moyen duquel les gardiens de la paix, conformément à la mode du jour, cherchent à faire prévaloir leurs exigences. Ils ne se sont encore organisés ni en association, ni en syndicat ; mais, d’après le renseignement qu’un d’entre eux a donné à un journal, ils ont nommé deux délégués par arrondissement et les ont chargés de rédiger le texte de leurs revendications. Ils convoqueront ensuite les camarades à un nouveau meeting, ou même à une réunion publique à laquelle les conseillers municipaux seront invités et où ils saisiront de leurs griefs la population parisienne. Que devient la discipline avec ces mœurs nouvelles ?

Le gouvernement s’en est préoccupé. A la suite de leur meeting, les gardiens de la paix avaient envoyé une adresse de dévouement au Président du Conseil et au préfet de police. C’est fort bien, évidemment ; mais ni le Président du Conseil, ni le préfet de police n’ont trouvé dans cette manifestation platonique une garantie suffisante : aussi ont-ils profité de la réunion, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, de l’Assemblée générale de la Société amicale de la Préfecture de police, pour faire entendre aux gardiens de la paix des paroles de bienveillance mêlées de sages conseils. Tout le monde sait que M. Lépine est aimé de son personnel. Les gardiens de la paix voient en lui, non seulement un chef, mais un ami ; il est toujours à côté d’eux au moment du danger ; il a déjà fait beaucoup pour améliorer leur situation. La brève allocution qu’il a prononcée a été bien accueillie et applaudie ; mais c’est surtout M. le Président du Conseil qu’on attendait.

Il a eu, à son tour, un succès très vif, ce qui n’étonnera personne, car jamais sa parole souple, enveloppante, caressante, câline même. ne s’était mise plus en frais pour charmer un auditoire qui n’était pas habitué à l’entendre. La manière dont il a parlé de leur mission aux gardiens de la paix les a certainement flattés. « Votre tâche, leur a-t-il dit, est plus difficile que jadis. Nous sommes dans une société de citoyens libres, qui dressent le front vers le progrès, qui se lèvent fièrement pour le réclamer, qui souvent exagèrent le geste dans leurs réclamations. Vous vivez dans ce bouillonnement, et vous avez la mission d’assurer la paix et la sécurité. Quelles qualités de tact et d’énergie vous devez montrer ! Vous devez contenir et réprimer, mais dans un sentiment de liberté : aussi ceux que vous empêchez de commettre des actes qu’ils regretteraient ne vous en gardent pas rancune.