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La Fédération s’interdit le recours à la grève, et nous en prenons acte. Nous serions toutefois bien surpris si elle respectait longtemps l’interdiction qu’elle s’impose à elle-même. Une Fédération nationale est un organisme trop puissant pour les intérêts auxquels elle prétend s’appliquer : la tentation d’user de toute sa force sera dès demain très grande, et elle grandira de jour en jour à mesure que la défaillance du gouvernement deviendra plus apparente. Il y aurait quelque naïveté à croire qu’en de certains momens la Fédération ne mettra pas en œuvre toutes ses ressources. Son nom même est une menace, et elle le sait bien ; elle ne se l’est pas donné en vain ; elle ne l’a pas adopté sans intention. Le passé suffit d’ailleurs à nous instruire de l’avenir. Lorsque le Comité d’études s’est formé, ses organisateurs ont pris soin de rassurer l’opinion sur son objet, et la démission que viennent de donner quelques-uns d’entre eux montre que ceux-là du moins étaient sincères. Mais que penser des autres ? Par malheur, ce sont toujours les plus violens qui remportent et les plus modérés qui disparaissent.

Il est à craindre que l’histoire de la Fédération nationale ne soit celle du Comité d’études et que, au prix d’une seconde épuration, si elle est nécessaire, le nouvel organisme ne manifeste à brève échéance le caractère révolutionnaire qui est le sien. Dans cette situation, que fait le gouvernement ? Il parle, il parle bien même, il n’agit pas. Il lui est, à la vérité, difficile d’agir. La première chose qu’il aurait à faire serait de demander aux Chambres de mettre en tête de leur ordre du jour le projet de loi sur le statut des fonctionnaires ; mais l’état des travaux parlementaires, la discussion du budget au Palais-Bourbon, celle des retraites ouvrières au Luxembourg, ne le permet pas. Cela prouve une fois de plus qu’on ne rattrape pas le temps perdu. Pourtant, le mal s’aggrave. Il atteint des couches administratives qui en étaient, jusqu’ici, restées indemnes. Les gardiens de la paix de la ville de Paris sont mécontens et s’agitent. Ils se sont récemment réunis au nombre de deux mille pour s’occuper, eux aussi, de leurs intérêts professionnels. La réunion a, d’ailleurs, été tranquille : on a lieu de le supposer sans toutefois pouvoir l’affirmer, car elle a été secrète, et les gardiens de la paix n’ont donné que peu de renseignemens sur ce qui s’y est passé. Ils se sont plaints, semble-t-il, de deux choses : d’abord de la dureté de leur service quotidien, ensuite des conditions futures dans lesquelles devraient être réparties les sommes versées par les particuliers pour des services payés. Une circulaire leur avait inspiré des craintes sur ce dernier point ; elle a été retirée le