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Parmi les ouvrages qui sont le plus habilement illustrés avec autant de magnificence que de recherche, il faut mettre au premier rang les livres sur Nattier[1], et sur Perronneau, deux des portraitistes qui triomphèrent à l’exposition de la rue de Sèze comme aux Cent Pastels, et une somptueuse monographie sur Carpaccio. Entreprise par M. G. Ludwig, mort en 1905 avant qu’elle fût achevée, et par M. Pompeo Molmenti, qui put mener à terme le travail si brillamment commencé, elle est un modèle de critique d’art et de consciencieuse recherche, et la traduction, qui en était attendue depuis plusieurs années, ne peut manquer d’être accueillie avec une faveur très méritée.

Mais entre Nattier qui nous fait pénétrer dans l’intimité de ces femmes exquises, nonchalamment étendues sur de vaporeux nuages gris et rose, avec des poses gracieuses et révélatrices dans leur abandon plein de promesses, et Jean-Baptiste Perronneau[2], ce portraitiste doué de tant de sensibilité, plus chaud et plus sobre, plus naturel et plus expressif, dont le dessin est également spirituel et serré, la couleur riche, radieuse et variée, quel contraste dans un même siècle ! En 1908, l’Exposition des Cent Pastels, organisée au profit de la Société française de secours aux blessés militaires, ne réunissait pas moins de 33 pastels de Perronneau. Qui ne se souvient d’un portrait d’enfant vêtu d’une Veste en velours vert céladon, avec un gilet semé de fleurettes roses, des portraits du comte de Bastard, de ceux de M. et de Mme Olivier, de M. La Fontaine, du Portrait de Jeune homme aux trois roses, les cheveux poudrés, le toupet en « vergette » frisé à marteaux, les yeux d’aigue-marine exprimant la mélancolie, vêtu d’un habit rose « velours de pêche, » avec un col de velours noir, un jabot de fine dentelle attaché sur le tour de cou de linon blanc, portant à la boutonnière trois roses thé ; de la Comtesse de Corbeau Saint-Albin, dans une robe décolletée en carré, le « corps » bleuté, un « parfait contentement » en ruban de même ton, se prélassant sous la modestie de dentelle ? Cette exposition assura le triomphe complet de Perronneau, dont les pastels peuvent supporter la comparaison avec ceux de La Tour. L’excellente étude de MM. Léandre Vaillat et Paul Latour de Limay contient les résultats d’une vaste et consciencieuse enquête sur la vie et l’œuvre de Jean-Baptiste Perronneau.

De tous les peintres du XVe siècle aucun ne sut mieux que Carpaccio[3]exprimer la vie vénitienne dans toutes ses manifestations, à cette époque même où les peintres deviennent en quelque sorte les

  1. Manzi et Joyant.
  2. Frédéric Gittler.
  3. Hachette.