Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/939

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES
LIVRES D’ÉTRENNES

L’année qui s’achève aura vu s’accomplir dans le ciel, sur la terre et sur l’onde, ou plutôt dans le domaine de l’air, des neiges immaculées ou des glaces du pôle, quelques-unes des explorations les plus intrépides, des découvertes les plus hardies, et aura résolu des problèmes qui semblaient au-dessus des efforts humains. Ces audacieuses tentatives font l’originalité de maints récits ou livres fraîchement éclos, — c’est le cas de le dire, — originalité incomparable, puisqu’elle a pris naissance dans l’infini et vit de l’inconnu. De toute la distance qui sépare le drame de la réalité, elles dépassent les inventions imaginaires, qui pâlissent, s’éteignent ou sombrent à mesure que la vision s’élève. Quelle œuvre d’imagination pourrait être comparée à ce qui est, à ce qui se découvre aujourd’hui, et se maintenir à une pareille hauteur ? Seule, peut-être, parmi toutes celles qui ont acquis une popularité durable, Don Quichotte, qu’il faut bien nommer quand on parle d’héroïsme et d’abnégation, de ces cœurs généreux qui se tournent vers les lointains du passé et les nobles perspectives de l’avenir. L’œuvre touchante et sublime de Cervantes, qui restera toujours le privilège d’une élite, n’aura-t-elle pas, plus qu’aucune autre, contribué à entretenir le culte de l’idéal ? Livre à la fois consolant, amer et doux, il n’y a guère de misanthropie plus riante et de plus gaie, et les coups redoublés du malheur n’ont pu dompter la liberté, ni éteindre la lumière de cette âme magnanime et ardente. Don Quichotte a fait école chez tous ces vaillans qui partent à la conquête de l’espace et des mondes et qui, pour subir parfois l’insuccès, ne connaissent pas la défaite. Si le maigre hidalgo, si généreux, si courtois, appuyé sur les étriers de l’amour et de la valeur, revenait aujourd’hui chevaucher par les chemins, le regard perdu dans les cieux étoiles, il y verrait, tels des goélands ou des albatros, planer ces grands oiseaux qui volent et virent avec un bruit plus strident et plus formidable que celui des