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de luttes héroïques, l’admirable bravoure de ce peuple ressuscité, son désintéressement magnanime, la beauté poétique de son mépris de la vie. Les figures des chefs, en particulier, se dressent devant nous avec un relief incomparable : des chefs improvisés, et déjà en pleine possession de tous les secrets de la guerre ; toujours prompts, il est vrai, à se juger sévèrement les uns et les autres, mais sans que leur opinion de leurs collègues ou de leurs supérieurs les empêche de donner le plus touchant exemple d’unité dans l’action et d’obéissance. Je ne dirai rien de Kosciusko, que son génie et l’élévation presque surhumaine de ses sentimens ne permettent point de considérer comme un simple représentant du caractère de sa race : celui-là, trop peu connu aujourd’hui de ses compatriotes eux-mêmes, appartient à l’espèce, tout exceptionnelle, de ces grands hommes qui dépassent les limites historiques de leur temps et de leur milieu. Mais il y a, à côté de lui, d’autres personnages plus « représentatifs, » tels qu’un Joseph Poniatowski, en qui j’aurais aimé à dégager quelques-unes des plus nobles vertus de la nouvelle génération polonaise, formée sous la double influence des « lumières » modernes et du séculaire idéal chevaleresque de ses ascendans. Quelle simplicité, quelle modestie, quelle instinctive élégance aristocratique chez ce vainqueur de Zielence qui, après la bataille où il n’a point cessé de se tenir à la tête de son armée, reporte sur ses compagnons tout l’honneur du succès, et avoue que celui-ci aurait été plus complet, si une prudence exagérée ne l’avait pas empêché de garder l’offensive ! Et lorsque la honteuse défection du Roi son oncle l’a contraint à abandonner la lutte, sans autre perspective pour lui-même désormais, que la misère et l’exil, comme sa nature tout entière se traduit à nous dans la lettre qu’il écrit à Stanislas-Auguste :


Toute faiblesse de votre part à l’égard de nos ennemis serait la plus grande torture qu’il vous fût possible d’infliger à ceux qui aiment votre personne et votre bon renom. Sire, daignez vous rappeler que vous êtes roi ! Daignez vous rappeler que vous êtes responsable de votre honneur devant toute la nation… Vous vous trouvez, à cette heure, entouré d’hommes ou trop faibles ou trop lâches pour vous présenter les choses sous leur vrai point de vue ! Mais daignez croire à la sincérité de mon cœur, daignez écouter la voix de la vérité au moins de ma bouche ! Je vous aime, vraiment, plus que ma vie : mais votre honneur, votre réputation me sont plus chers encore que vous-même. Si vous sacrifiez ces trésors inestimables, que vous restera-t-il qui vaille d’être conservé ?… Certes, il faut être bien lâche et bien méprisable pour se laisser aveugler par une ombre vaine d’autorité, et obtenue d’une bande de traîtres qui l’ont, eux-mêmes, usurpée !