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crochus sur les régions convoitées, détourne la tête et serait manifestement heureux de pouvoir se cacher, avec une expression à la fois sournoise et timide qui convient le mieux du monde à ce type singulier d’intrigant vertueux ; et plus fidèlement encore le dessinateur a saisi la véritable attitude de la « Sémiramis du Nord, » qui, une main ouverte en signe d’ouverture de cœur et de loyauté, s’adresse à un quatrième personnage, debout non loin d’elle, et sans doute réussit à lui persuader que c’est par amitié pour lui qu’elle va, tout à l’heure, l’alléger d’une bonne part de son fardeau royal. Car Moreau, comme l’on sait, a introduit dans sa composition un autre « roi, » qui n’assiste pas avec le même plaisir au morcellement du « gâteau » polonais. Il met bien les doigts, lui aussi, sur la carte que ses compagnons sont en train de se partager : mais nous devinons que son désir serait de la leur reprendre, tout de même qu’il s’efforce convulsivement, de son autre main, à assurer sur sa tête une couronne qui menace de tomber au moindre faux pas. Et déjà l’étreinte de sa main se desserre, sur la carte. Tout entier au souci passionné de conserver sa couronne, bientôt le pauvre roi aura lâché le « gâteau ; » et Frédéric et Joseph pourront y découper librement les grosses tranches qu’ils se sont choisies, pendant que Catherine, de son côté, transportera sur son cœur la belle main qu’elle tenait ouverte, et se félicitera, devant ses amis les « philosophes » parisiens, du précieux service qu’elle aura rendu à son ancien amant Stanislas-Auguste, devenu maintenant son frère en « philosophie » comme en royauté.

Oui, tout cela nous a été figuré par l’artiste tel exactement que nous le décrit, après maints autres, le nouveau livre anglais de M. Nisbet Bain. Mais il y a, parmi les illustrations de ce livre, la copie d’une estampe du dessinateur polonais J. E. Nilson qui, de la manière la plus surprenante, nous montre une composition presque entièrement pareille à celle de Moreau, et que pourtant Nilson se fait fort d’avoir tout ensemble, « inventée et gravée. » Même ordonnance générale, même emplacement des quatre personnages, même figure allégorique d’une « gloire » s’envolant pour révéler au monde le scandaleux forfait : malgré son fecit et excudit, Nilson, trop évidemment, s’est borné à reproduire le dessin de Moreau. Seules, les physionomies des quatre souverains sont beaucoup plus conformes à leurs traits authentiques ; et si celles des trois complices traduisent, néanmoins, les mêmes sentimens que leur a prêtés l’illustrateur français, le visage et toute l’attitude du roi Stanislas-Auguste se trouvent, ici, conçus tout différemment. Au lieu de se résigner à sacrifier la moitié de son royaume pour