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appartenant au monde de la finance, que la ruine a touchée. Tandis que la catastrophe réveille l’énergie du père et le courage de la fille, dont la volonté est mieux trempée, elle achève de décomposer les âmes inconsistantes du fils et de la belle-mère. Les premiers font face à l’orage, les autres s’en vont « comme les feuilles » que le vent emporte. Ceux-là sortiront vainqueurs de la crise, ceux-ci y perdront les derniers vestiges de leur honneur et de leur dignité.

Ce thème a l’avantage de différer sensiblement de ceux qu’on nous offre d’habitude. Giacosa l’a traité en dramaturge consommé, qui sait nouer et résoudre une action compliquée, en même temps qu’en observateur pénétrant et respectueux du vrai ; c’est avec éloquence et vigueur qu’il s’exprime à travers des personnages pittoresques et vivans. L’œuvre est claire et bien ordonnée, d’après une formule qui ne diffère pas essentiellement de celle de nos meilleurs écrivains de théâtre. Bien qu’elle date déjà de dix ans, elle n’a rien de suranné.

Un peu surpris au début par ce qu’il y a d’insolite dans cette chose inattendue qu’est une « pièce honnête, » le public a été bientôt saisi par la force des situations et la vive précision du dialogue : il lui a fait grand accueil. On ne rencontre pas tous les jours, au théâtre non plus qu’ailleurs, des gens qui ont la force morale de remonter une pente facile à descendre. Ceci nous change de beaucoup de spectacles et nous gagnons au change.

Mise en scène avec soin, la pièce de Giacosa est bien jouée par ses principaux interprètes. M. Vargas met de l’humour et de la vivacité dans le rôle de l’homme d’action, peut-être un peu trop donneur de bons conseils. Le rôle de Nennele, qui est considérable, est tenu par Mlle Sylvie avec goût et distinction. Nous nous réjouissons qu’on ait pu applaudir à Paris l’œuvre maîtresse d’un écrivain de talent, — dont le talent avait sa source dans l’honnêteté de l’homme.


RENE DOUMIC.