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se fait morose et chagrine, comme toute plaisanterie qui se prolonge. Comment se peut-il qu’un écrivain ultra-parisien, tel qu’est M. Lavedan, n’ait pas senti qu’il fallait s’arrêter là ? Les agenouillemens de Mlle de Saint-Salbi devant Denis Roulette ne nous font pas rire. La dévotion à une idée, même à une chimère, quand elle atteint à ce degré, commande le respect. Nous avons d’ailleurs bien de la peine à admettre qu’une personne, même au pouvoir de l’idée fixe, quand elle a chez elle un Denis Roulette, n’ait pas vingt fois par jour la sensation qu’elle héberge un goujat au lieu d’un prince. Et nous éprouvons une sorte de révolte à l’égard du subtil docteur et de l’ingénieux abbé qui laissent aussi grossièrement bafouer leur vieille amie. La farce, devenue décidément trop profitable au farceur, se change en escroquerie. Cela est si frappant que M. Lavedan, pour soulager la conscience du spectateur, a senti le besoin de dire son fait à ce fantoche. Il place une tirade indignée dans la bouche de Léonie, une grisette qui a de beaux sentimens, comme c’est l’usage. Et la Révolution de 1848 ayant éclaté sur ces entrefaites, Denis Roulette meurt en héros. Dirai-je que cet héroïsme si soudain nous a trouvés un peu incrédules ? M. Maurice Donnay nous a informés, ces jours derniers, que « le cinquième acte est mort. » Je regrette que cet événement ne se fût pas encore produit quand M. Lavedan écrivait sa pièce. Le cinquième acte en est le moins bon. Il contribue à alourdir une œuvre déjà trop grave, trop savante, où l’on n’eût voulu trouver que légèreté, insouciance et jeunesse, avec un brin de folie.

M. Huguenet, qui dessine avec tout le pittoresque souhaitable le personnage de Denis Roulette, nous a beaucoup amusés dans les trois premiers actes ; il est visiblement gêné dans les deux derniers où le dessin du rôle, plus incertain, devient parfois déconcertant. Mme Pierson est excellente, cela va sans dire ; toutefois, elle ne nous donne guère l’illusion d’être la croyante mystique, la dormeuse éveillée que fut, en son vivant, M, le de Saint-Salbi. Mlle Lecomte est une Léonie très gracieuse, quoique toujours trop maniérée. Les autres rôles sont très convenablement tenus.


L’Odéon vient de jouer, dans une bonne traduction de Mlle Darsenne, l’œuvre la plus connue et la plus applaudie de Giuseppe Giacosa : Comme les feuilles. C’est une excellente « comédie bourgeoise » qui s’inspire des sentimens les plus élevés ; c’est en même temps un tableau émouvant et animé des mœurs actuelles. Avec une incontestable puissance de réalisation scénique, l’auteur nous présente une famille,