Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/924

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laborieuse… Cette mystification, j’estime qu’il eût fallu nous y jeter d’emblée, sans nous donner le temps de la réflexion. Au contraire, parmi les lenteurs de ce premier acte, nous avons tout le temps de réfléchir. Et en réfléchissant, nous songeons : « Pour excuser cette supercherie, il faudrait qu’elle fût exigée par un intérêt indiscutable. Mais cette vieille demoiselle vit très doucement entre ses femmes et quelques familiers qu’une bonne table ne laisse pas indifférens. Voilà une existence calme, réglée, heureuse. De quel droit ce brouillon de docteur et ce niais d’abbé viennent-ils la troubler ? M, le de Saint-Salbi attend l’arrivée de son prince. Combien cela est précieux dans la vie d’attendre quelqu’un ou quelque chose et de se créer ainsi une raison de vivre !… » Non, le mal ne nous apparaît pas avec un caractère de gravité. Non, le remède ne nous semble pas imposé par une nécessité impérieuse. Nous restons de sang-froid. Au lieu d’entrer dans la machination et de nous en faire complices, nous nous tenons en dehors, nous la jugeons. Mauvaises conditions pour accepter une farce, et une farce irisant l’indélicatesse.

Donc, on fera surgir un Louis XVII en chair et en os devant Mlle de Saint-Salbi. Qui en jouera le personnage ? Un certain Denis Roulette se rencontre à point. Il est horloger de profession, mais comédien de vocation. Ce joyeux drôle est l’homme de la situation, l’envoyé de la Providence. Le second acte, où l’on nous introduit dans sa mansarde, est de beaucoup le meilleur de la pièce. Il a ce mérite essentiel d’être d’une belle franchise de ton. C’est un acte de farce savoureuse. Nous sommes en 1848, et une société secrète, la Main Rouge, vient initier Denis Roulette aux devoirs du parfait insurgé. Il y a une tirade qui rappelle un peu Rabagas ; mais le souvenir est de ceux qu’il fait bon évoquer. La scène est d’un comique irrésistible. Tel est l’effet du mouvement au théâtre : nous ne songeons pas un seul instant que cette scène est un hors-d’œuvre. Elle nous amuse : nous ne discutons pas. Et après que la Main Rouge a exigé de notre bohème le serment à la République, voici qu’on vient lui proposer d’être, pour un jour ou pour une heure, le fils de Louis XVI ! Le contraste est ingénieux et il a excellemment porté.

Le troisième acte met Mlle de Saint-Salbi en présence de Denis Roulette, si bien costumé et grimé que la vieille demoiselle, pour soupçonneuse qu’elle soit, n’évente pas la supercherie. Mais maintenant qu’elle a vu son prince, elle ne veut plus le laisser partir. Elle tient à le garder, elle l’installe chez elle… C’est ici que la pièce rebondit, suivant l’expression consacrée. Nous pensons plutôt qu’elle dévie. Elle