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sortirent les corps de métiers du moyen âge. « Une organisation, imaginée dans l’intérêt du maître pour discipliner et rendre plus productif le travail servile, devint la garantie des privilèges de la classe industrielle, la source de sa prospérité. Cette transformation s’accomplit par degrés ; l’artisan réussit d’abord à s’assurer une partie des bénéfices du travail, » et, quand il eut, de bonne heure, franchi ce premier pas, « le maître les lui abandonna entièrement, en stipulant seulement des droits pécuniaires ; enfin les associations ouvrières s’attribuèrent des privilèges exclusifs qui firent disparaître les travailleurs isolés[1]. » Tout cela du moins est probable. Au second stade, l’artisan se détache du domaine, s’installe chez lui, offre au public son industrie, et se fait payer, quitte à payer à son tour une redevance au seigneur. Et c’est la période féodale du métier, transition vers la période royale. Eux-mêmes, les droits royaux, en matière de travail, sont et resteront des droits féodaux. Il n’y a pas là de droit spécifiquement régalien, de droit qui tienne nécessairement à la souveraineté, qui en soit une fonction ou un attribut, qui soit de son essence et de sa substance. C’est une simple marque de suzeraineté ; c’est une trace de propriété primitive, affirmée et tant bien que mal conservée par une taxe. Autrefois la terre et l’homme, le domaine et le travail, étaient liés ensemble et ne faisaient qu’une valeur aux mains d’un même propriétaire. Puis l’homme s’est arraché ou a été détaché de la terre, le travail est parti du domaine ; il n’a subsisté, de l’artisan, jadis serf, maintenant affranchi, au seigneur que quelques liens, plus ou moins suivant les cas, entre autres cette redevance. Les relations de la corporation avec l’Etat seront en conséquence non de droit royal, mais de droit féodal, qui, comme toujours et partout, — ou le plus souvent, si l’on le veut, — aura ses racines dans la terre : le Roi possédera éminemment le métier, parce qu’il possède non la royauté, mais le royaume, le domaine, la terre, et que le seigneur qui possède la terre possède éminemment les hommes. Ce qui le prouve, c’est que le droit du Roi sur les métiers s’arrête, dans Paris même, à la limite des autres seigneuries (Saint-Germain-des-Prés, Saint-Martin-des-Champs, le Temple, l’Evêque, etc.). Aussi est-ce comme seigneur, plutôt que comme roi, que nous voyons, dans

  1. G. Fagniez, ouvr. cité, p. 2 et 3.