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comme un syndicat patronal, tourné à l’avantage du maître, et visant beaucoup moins à la protection du travail qu’au monopole du métier, si bien qu’à la longue l’ouvrier sera tenté, presque forcé d’aller ailleurs, et, sacrifié dans l’association officielle qu’est la corporation, ira se réfugier dans l’association secrète que sera le compagnonnage.

Telle fut, si l’on pouvait en ramener le tout aux intentions qu’elle poursuivit et aux directions qu’elle suivit, la vie intérieure de la corporation. Quant à sa vie extérieure, — à sa vie de droit public et dans l’Etat, — en voici l’essentiel. Si obscures que restent leurs origines, les corporations de métiers semblent être issues du travail servile ou domestique de la Gaule franque beaucoup plus (sauf peut-être une ou deux exceptions comme les marchands de l’eau de Paris et les bouchers de la Grande Boucherie) que de collegia opificum d’importation ou d’imitation romaine. De l’un à l’autre, du serf travaillant chez le seigneur au valet travaillant chez le maître, on trouve facilement le passage, il est aisé de saisir et de tenir l’anneau. L’artisan, attaché au service et logé dans l’enclos, dans la « cour » du seigneur (il faut se faire une idée de ce qu’était un de ces domaines, une villa, avec la demeure du maître, le mansus dominicus, l’indo-minicatum, et les cases des ouvriers, ruraux ou de métier, — forgerons, charrons, orfèvres, meuniers, boulangers, tailleurs, cordonniers, — groupées autour, au pied de l’habitation seigneuriale), cet artisan donc travaillait à la fois pour le dedans et pour le dehors. « Le maître tirait un profit pécuniaire des talens de ses esclaves en vendant les produits de leur industrie ou en louant leurs bras à prix d’argent… C’est à ces ouvriers travaillant à la fois au profit de leur maître et à leur profit personnel que s’adressaient les hommes libres qui n’étaient pas assez riches pour entretenir des esclaves aussi nombreux, aussi experts que l’exigeaient leurs besoins. » Comme organisation matérielle du travail ils étaient distribués, selon leurs métiers, dans des ateliers dont chacun était dirigé par une sorte de contremaître (ministerialis). On voit que nous ne cessons pas d’écrire : « une sorte ; » une sorte de syndicat mixte, une sorte de syndicat patronal, une sorte de contremaître, car, dans la différence des temps, les choses se ressemblent, mais ne s’identifient pas, et se rappellent, mais ne se reproduisent pas. De ces groupes d’artisans établis sur les domaines des grands propriétaires