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timorées, mal informées, poussées par leur élan et la délicatesse de leur conscience à aller au-delà par crainte de rester en deçà du devoir, auraient-elles pu prendre une solution calme et uniforme là où leurs conseillers étaient eux-mêmes extrêmement divisés ? Aussi, tandis que la résistance à la Constitution civile du clergé fut à peu près unanime chez les religieuses, leur altitude à l’égard du serment de liberté et d’égalité fut l’anarchie comme chez le clergé. Dans le même diocèse, la même ville, le même couvent, nous les voyons, par les procès-verbaux des interrogatoires qui nous ont été conservés, voter, qui pour, qui contre le serment, formant ainsi deux groupes différens, et troublant la parfaite unité de leur attitude religieuse par la divergence de ce qu’on pourrait appeler leur attitude politique. Cette diversité de conduite dut amener entre elles plus d’une contestation. Celles qui avaient cru pouvoir prêter le serment reçurent souvent de leurs compagnes réfractaires, des prêtres mêmes, des réprimandes qui les jetèrent parfois dans l’anxiété, et amenèrent chez quelques-unes la rétractation repentante d’une faute qu’elles n’avaient pas commise.

La Législative s’autorisa de ces retours et de ces refus pour redoubler de violence. Nous voyons mander, interpeller ces pauvres filles tremblantes, hésitantes entre les scrupules de leur conscience et la pression qu’on veut exercer sur elles, les jeter même en prison, les faire paraître en public, et les mêler à des scènes grotesques dont leur faiblesse et leur sexe auraient dû leur épargner l’odieux. Ces difficultés, ces luttes hâteront la proscription complète des religieuses. Le 4 août 1792 est voté un décret portant que toutes les maisons occupées par les congrégations des deux sexes seront évacuées et mises en vente. Exception est faite en faveur des « religieuses consacrées au service des hôpitaux et autres établissemens de charité, à l’égard desquels il n’est rien innové. »

Voilà donc un nouveau pas dans l’œuvre de la destruction monastique. Ces ordres que la Constituante, retenue par une modération relative et par un certain respect de la liberté, n’avait pas osé anéantir, qu’elle avait laissés réunis par vingt, si c’étaient des religieux, ou à leur guise et dans leurs couvens, si c’étaient des religieuses, les voilà cette fois nettement et brutalement dispersés par la Législative. Hommes et femmes devront être partis au 1er octobre 1792.