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avoir servi un souper à discrétion. Le nombre des pauvres passagers, année commune, s’élève de 15 à 16 000. » Dans l’année dernière, 1789, disent-elles, le nombre des « soupers » a été de 32 328. Nous avons pu les servir « sans avoir sollicité ni reçu aucun secours du gouvernement et sans avoir dérangé l’usage dans lequel nous sommes de payer nos fournisseurs tous les quartiers. »

Aux soins du corps s’ajoutait, sous l’ancien régime, une grande sollicitude pour les maladies morales. Les religieuses hospitalières de Notre-Dame du Refuge, de Nancy, racontent en ces termes ce qu’elles font : « La fin de notre institut est de servir de retraite et de refuge aux personnes du sexe qui se dérangent ou se sont dérangées. Elles y sont reçues lorsqu’elles s’y présentent volontairement ou de concert avec leur mari, ce qui arrive quelquefois, ou qu’elles y sont envoyées par des ordres supérieurs émanés des souverains ou des tribunaux de justice, après assemblée des familles, ou par les pères et mères en forme de correction paternelle lorsqu’il s’agit de filles mineures. » Les Hospitalières de Notre-Dame du Refuge de Rouen exposent avec un grand bonheur d’expression et un vrai sens psychologique le but de leur œuvre et le résultat qu’elles obtenaient dans l’ancienne France.


Cette communauté depuis son établissement a rempli finalement, disent-elles, le vœu de son institution et a contribué par son utilité à conserver l’honneur de bien des familles. Elle forme un milieu nécessaire entre ces couvens qui consacrent uniquement leurs soins à l’éducation des jeunes personnes du sexe, et ces maisons de force et de correction destinées à punir la débauche. Dans les premières, la prudence et la religion défendent d’admettre aucune personne notée ou même simplement suspecte. Dans les autres, on n’y entre qu’accompagné de l’opprobre, et un séjour de deux heures y devient la flétrissure de toute la vie. L’Institut du Refuge est pour de jeunes personnes dont les unes, après quelques égaremens qui sont souvent le malheur des occasions, se déterminent à retourner à Dieu et cherchent un asile contre leur propre faiblesse, les autres auxquelles on n’a quelquefois à reprocher que des démarches imprudentes ou des liaisons suspectes, mais qui pourraient avoir des suites dangereuses, y sont placées par leur famille pour prévenir de plus grands écarts, rompre des intrigues, arrêter les effets de la séduction, faire reprendre le goût de la vertu, et laisser évanouir des bruits dont naîtrait bientôt la perte entière de la réputation. Ces jeunes personnes, qu’il est si essentiel de soustraire pour quelque temps à l’occasion et aux dangers, seraient perdues pour les mœurs et pour la société, si on ne pouvait leur procurer d’autres asiles que des maisons de force. Elles en trouvent un dans la maison de refuge. Là, retirées dans un quartier