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municipaux et le procureur, précédés des gardes du corps municipal, conduisent, dit le procès-verbal, la dame Moreau » au couvent qu’elle a choisi pour sa retraite. Les sœurs « assemblées capitulairement » décident de la recevoir, et son ancienne supérieure est condamnée à lui servir une pension pendant trois mois, en attendant le jugement de la Constituante sur cette grave affaire.


II

Les religieuses viennent de déclarer en masse qu’elles veulent rester fidèles à leurs vœux et continuer à vivre en communauté. Il ne suffisait pas d’affirmer hautement cette résolution ; il fallait, pour la rendre pratique, obtenir de l’Assemblée nationale qu’elle respectât leur liberté et le fonctionnement des couvens. Elles les savaient menacés. Aussi ne se contentent-elles point d’exprimer leurs volontés, leurs préférences ; elles essaient de gagner leur cause auprès de l’Assemblée nationale. Nous voyons défiler une à une les plaidoiries où chaque ordre se fait connaître et tente d’assurer sa conservation par l’exposé des services qu’il peut rendre. Situation étrange ! Il est dans les habitudes d’humilité des religieuses de laisser ignorer aux autres, et presque à elles-mêmes, le bien qu’elles font. Les voilà amenées par les circonstances, et par le sentiment de leur propre conservation, à le proclamer hautement.

Parmi elles, les dames du plus grand nom ne dédaignent pas de prendre la plume, d’intervenir et de faire appel à toutes les lumières et à toutes les protections, pour essayer le sauvetage de leur institut. Une Montmorency-Laval, prieure d’une maison de Notre-Dame, écrit à Treilhard, et lui demande formellement quelle est la voie à suivre :


Nous sommes, lui dit-elle, dans une peine que je ne puis vous exprimer, monsieur. Il paraît que l’on va détruire une partie des maisons religieuses selon le décret de l’Assemblée nationale. J’ai recours à vos bontés et à votre protection pour que nous n’ayons pas le malheur d’être du nombre. Nous sommes toutes seules et dans un coin où nous ne gênons rien, et nous sommes dans la disposition de nous rendre utiles à tout ce que l’on jugera à propos, pourvu que l’on nous conserve dans notre maison qui fait le bonheur de notre vie. Est-il possible que, dans un moment, monsieur, où on ne parle que de liberté et de rendre tout le monde heureux, nous en soyons seules exclues ? Nous ne sommes ni riches, ni pauvres ;