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déclarations. Elles nous apportent des aveux où les quelques plaignantes mettent leur dégoût du cloître, et les conséquences parfois peu honorables qui en furent la suite, sur le compte d’une vocation forcée, soit que les faits fussent réels, — et il y eut certainement des exemples, — soit qu’elles voulussent diminuer leur responsabilité.


Née, écrit l’une d’elles, le 22 juillet 1769, je fus admise, le 9 octobre 1787, au nombre des religieuses bénédictines de l’abbaye d’Origny-Sainte-Benoîte, au diocèse de Laon, où depuis ce temps je n’ai cessé de soupirer après la dissolution des maisons religieuses. Le Ciel, en permettant que la foudre révolutionnaire pulvérisât tous les cloîtres, a paru exaucer une partie de mes vœux. Aussi, dès que le tocsin de la liberté a sonné, je fus une des premières à en profiter, et au mépris de mes engagemens les plus sacrés, je me revêtis de toutes les livrées de la mondanité, sans attendre les ordres du chef suprême de l’Église qui pouvait seul me diriger dans cette horrible tempête. Comptant pour rien le vœu de pauvreté, je me suis soumise à toutes les formes vexatoires qu’il a plu aux chefs du brigandage national d’inventer pour torturer les consciences, et j’ai reçu sans aucun scrupule la pension accordée aux ex-religieuses. Il ne manquait plus pour consommer mon apostasie que de m’engager sous les lois de l’hymen ; j’en ai eu la pensée et le désir, et je l’aurais fait, si je n’en eusse été empêchée par la crainte de perdre des protecteurs qui, malgré mes principes irréligieux, n’ont cessé de m’être favorables. Pourquoi faut-il que je sois réduite à maudire le jour qui a éclairé ma prise d’habit et la solennité de mes vœux religieux ? car je ne puis dissimuler que je suis du nombre des malheureuses victimes que des parens avares et intéressés ont sacrifiées à leur orgueil et à leur ambition. Je n’ai point eu dans le temps la force de déclarer au directeur de ma conscience la répugnance que j’avais pour le saint institut qu’on voulait me faire embrasser, et j’ai eu la faiblesse d’émettre des vœux contre lesquels mon cœur réclamait, en même temps que ma bouche les prononçait…


Ce langage ardent, presque emporté, est bien d’une religieuse fugitive qui est passée par la Révolution et en a gardé l’empreinte. L’exemple en est très rare ; aussi les enquêteurs y attachent d’autant plus de prix, comme le prouve un incident comique. Au couvent des Ursulines de Château-Gontier, une sœur, nommée Moreau, déclare vouloir sortir et entrer le jour même, comme pensionnaire, chez les Dames hospitalières de Saint-Julien de la même ville. Aussitôt le procureur instrumente pour qu’il soit donné avis de ce grand événement à l’Assemblée nationale. Sans perdre de temps, interrompant l’interrogatoire des autres religieuses, « le maire, les officiers