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moins lire. » Aussi a-t-elle dédaigné « ce fantôme de municipalité qui n’a ni registre, ni greffier, ni secrétaire » pour faire sa déclaration à la municipalité d’Aubusson. Elle obéissait donc, tout en choisissant ses interlocuteurs. On nous signale encore l’abbesse des chanoinesses nobles de Baume, Mme de Laubespin, qui, forte d’une connaissance approfondie des lois nouvelles, experte dans la procédure, faisant, à l’occasion, appel au département contre le district, à l’Assemblée nationale contrôle département, bataille pied à pied contre un implacable avocat du cru, un certain Blondeau, et sauve jusqu’en 1792 la liberté de son église, le mobilier de l’abbaye, les vases sacrés du temple, les charmantes maisons de chanoinesses vivement convoitées par la bourgeoisie de Baume. Cette stratégie, ces fins de non recevoir sont des exceptions très rares


I

Dans cette enquête sur les sentimens des religieuses, faisons les honneurs aux Carmélites qui comptaient soixante-cinq monastères placés sous la juridiction de la Congrégation de France, et douze sous la juridiction de l’Ordre. De quel ton les trente-sept carmélites de Pontoise disent aux inquisiteurs leurs angoisses et leur inébranlable résolution de persévérer dans leur vocation.


Ah ! Messeigneurs, s’écrient-elles, de pauvres Carmélites accoutumées à la retraite, au silence, à la tranquillité d’une vie qui fait notre bonheur, nous qui aimons notre état, qui en chérissons les saintes austérités, nous voir obligées de quitter nos pieux asiles, et de nous retrouver au milieu du monde où tout est étranger pour nous ! Ah ! cette pensée nous pénètre, nous mine et nous consume. A peine pouvons-nous parler les unes aux autres. Chaque exercice de communauté, en nous réunissant, renouvelle nos peines et nous fait sentir plus vivement le malheur de la funeste séparation que l’on nous fait craindre. L’appréhension de ce terrible malheur nous suit partout. Cette funeste idée interrompt le peu de sommeil que la nature accablée nous force de prendre. C’en est donc fait, nous disons-nous quelquefois les unes aux autres, c’en est donc fait. La sainte union qui, jusqu’alors, a fait nos délices, va être rompue et détruite. Cette maison, où nous tâchions de couler dans l’innocence des jours tranquilles, va donc être pour nous une maison étrangère. Ce temple, cet autel, nous n’aurons plus la liberté d’y porter l’hommage de nos vœux et de nos prières. Qu’avons-nous fait et quels crimes peuvent nous avoir mérité une calamité si accablante ? Avons-nous manqué un seul jour de prier pour le bonheur et la