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de travailler quand complies sonnaient à cette église[1]. »

Représentons-nous le Paris marchand de ce temps-là, XIIIe ou XIVe siècle, et particulièrement le centre, — on devait dire plus tard le ventre, — le cœur de ce vieux Paris, les Halles. Au siècle suivant, Guillebert de Metz notera, sans faire crier à l’hyperbole, qu’elles sont, à elles seules, « aussi vastes qu’une ville. » Mais déjà, en 1323, Jean de Jandun célèbre leurs immenses galeries, « les provisions considérables de draps, les fourrures, les soieries, les fines étoffes étrangères exposées au rez-de-chaussée, et, dans la partie supérieure, les objets de toilette, couronnes, tresses, bonnets, épingles à cheveux en ivoire, besicles, ceintures, aumônières, gants, colliers. » C’est tout à fait le souk tunisien, le bazar oriental, ancêtre de nos bazars à nous, de nos grands magasins. Les Halles d’alors ressemblent à notre Louvre ou notre Bon-Marché, avec cette différence que toutes les marchandises offertes en ces « immenses galeries » appartiennent maintenant au même propriétaire : leur concentration en un lieu a amené, elle suppose la concentration des commerces et des capitaux. Dans les Halles, au contraire, les commerces étaient rigoureusement spécialisés ; chacun faisait le sien avec ses ressources ; chaque producteur vendait son produit et ne vendait que lui ou chaque marchand ne vendait qu’un produit ; ils s’alignaient et ne s’accumulaient pas, se juxtaposaient et ne se superposaient pas. Plutôt encore qu’à nos grands magasins, elles ressemblaient à certains coins de nos marchés, où, à la suite les uns des autres, chacun sur une façade de quelques mètres, et parmi les amas de comestibles, de modestes trafiquans étalent casquettes, vêtemens, chaussures, vaisselle et même couronnes funéraires. Ainsi le Temple ou le marché Saint-Germain, par exemple, sont ou étaient, il y a peu d’années encore, comme un type intermédiaire entre les Halles d’autrefois et le Louvre, ou le Bon-Marché d’aujourd’hui.

Dans le voisinage, rue au Feurre, rue Saint-Denis, pour la facilité des transactions, se trouvent quelques billonneurs ; mais la plupart ont été, par le prévôt de Paris, cantonnés sur une place nouvelle, vis-à-vis de l’Ecorcherie, au bout de la Grande-Boucherie, comme les changeurs l’ont été sur le Grand-Pont, par Philippe le Bel, depuis 1305. La Grande-Boucherie

  1. Gustave Fagniez, Études sur l’industrie et la classe industrielle à Paris aux XIIIe et XIVe siècles, p. 21.