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conditions hautement favorables à sa naissance, ou à sa croissance et à sa puissance. Il vaut d’étudier celle formation d’un peu près, de bien établir ces conditions, afin de serrer autant que possible une réalité si complexe, en tâchant de n’oublier jamais ni l’aspect politique ni l’aspect économique de la question, de n’omettre jamais aucun des trois facteurs que l’on a reconnus et désignés, pour plus de brièveté, par ces abstractions : le Travail, le Nombre et l’État.


I

Une condition nécessaire, — et peut-être la plus efficiente de toutes, — à la formation et au développement d’une classe, c’est la concentration, le rassemblement en un lieu. Cette condition s’est affirmée, elle a été constatée de très bonne heure. Après la famille, avec l’église ou la paroisse, le quartier. Non seulement les membres et les branches d’une même famille se pressent les uns contre les autres ; non seulement tous les rejetons d’une même souche ont une justice familiale ; non seulement ils nouent entre eux des « voisinages, » des confréries ou fraternités ; mais, entre ces fraternités, la famille même en son acception la plus large, la familia, serfs et cliens compris, n’est pas l’unique lien. Déjà, tout de suite, la profession, le métier, joue un grand rôle : « De même que les membres naturels ou fictifs d’une même famille, les artisans d’un même métier, les marchands d’une même profession se massent, se fixent côte à côte. Ils forment ainsi des quartiers ou des rues homogènes, où ils se sentent chez eux et maîtres, et qu’ils mettent, au besoin, en état de défense[1]. » Ainsi en forment-ils avant même, probablement, de former des corporations, avant que le métier soit régulièrement organisé[2] ; et, à mesure que le métier s’organise, ce trait s’accuse de plus en plus dans la physionomie des villes. C’est

  1. Jacques Flach, les Origines de l’ancienne France, livre III, ch. XI : « La formation du lien corporatif » (Xe, XIe et XIIe siècles), t. II, p. 375 et 378.
  2. C’est ce qu’on peut induire d’un texte du IXe siècle, l’exposé des revenus de l’abbaye de Saint-Riquier (Bolland., Acta sanct., février, t. III, p. 105), que vise Achille Luchaire, Manuel des Institutions françaises, Période des Capétiens directs, p. 361. Le métier organisé apparaît authentiquement au commencement du XIIe siècle (Louis VI, 1112), mais dans un acte qui ne fait que confirmer un acte antérieur de Philippe 1er concernant les crieurs de vin, magistenum præconum vini. La corporation des bouchers apparaît en 1146, les tanneurs, etc., en 1160, mais dans des textes du reste douteux.