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désintéresser des rives de l’Adriatique, la seule issue maritime qu’elle possède. Le comte d’Æhrenthal, en renonçant à user des droits que le traité de Berlin donnait à l’Autriche-Hongrie dans le sandjak de Novi-Bazar, a déclaré à maintes reprises que, par cet acte, il avait entendu marquer la limite méridionale que la frontière de l’Empire ne dépasserait pas. Il convient de l’en croire. Mais ces déclarations doivent évidemment s’entendre d’une politique de conquête, non d’une politique d’influence. Jamais l’activité des agens autrichiens en Albanie n’a été plus grande que depuis l’annexion de la Bosnie. Par le Monténégro, les Russes ont, au Sud de l’Autriche, un allié dont le rôle, en cas de conflit, ne serait pas négligeable. Mais les Albanais du Nord et, particulièrement, les Albanais catholiques, sont, depuis des siècles, les ennemis des Monténégrins : en cas de guerre austro-russe, les bandes de montagnards albanais, en se jetant sur le Monténégro, pourraient le paralyser. La tendance générale de la politique autrichienne a été de faire durer l’anarchie albanaise, d’opposer la masse amorphe de l’Albanie à l’expansion serbe, sans cependant favoriser le développement du sentiment national albanais. Elle s’est opposée à l’extension des « réformes, » commencées en Macédoine, aux vilayets albanais et même à l’ancien sandjak de Novi-Bazar ; elle semble avoir vu sans regret l’extermination des Serbes de la Vieille-Serbie par les Arnaoutes. C’est surtout dans la région de Scutari, parmi les tribus catholiques, que la propagande autrichienne a été active ; son meilleur instrument a été le clergé.

Si l’on excepte quelques-uns de ses chefs, élevés en Italie, comme Mgr Docchi, ou en Autriche, le clergé indigène est ignorant et n’a qu’une autorité restreinte ; l’influence dominante appartient aux réguliers. Les Franciscains étaient en Bosnie dès le XIVe siècle ; de là ils se sont étendus en Haute-Albanie où ils ont obtenu de Mahomet II un firman spécial souvent renouvelé par ses successeurs. Ils ont eu des martyrs : Ferdinand d’Abbisola et Jacques de Sarnano, empalés par le pacha de Scutari plutôt que d’abjurer, Antonio de Sorante, pendu à Curza. Au XVIIe siècle, au moment des grandes victoires du prince Eugène, les Franciscains se firent les collaborateurs de l’œuvre de reconquête autrichienne ; ils sont restés fidèles à cette tradition ; la plupart d’entre eux sont des Albanais que l’Autriche fait élever à Salzbourg. Mais, à partir de 1842, les Jésuites vinrent