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mois et par années, remplit sa destinée, subit la loi commune. Pourtant, si cette loi est constante, les modalités en varient selon le milieu et le moment ; non pas sans doute jusqu’à créer dans l’humanité, par sélection, une nouvelle espèce d’histoire naturelle, mais assurément jusqu’à former dans la société, par adaptation, une classe d’histoire sociale, la classe ouvrière. J’ai donc écrit : « l’espèce » par une habituelle association d’idées et d’expressions, pour l’équilibre de mon plan et comme on écrit : « la race, » pour avoir écrit ou pour être près d’écrire : « le milieu et le moment. » Mais on dirait assez, et on ne dirait pas trop, en écrivant : la classe, le milieu, le moment.

La formation de « la classe ouvrière » est, à y bien regarder, un fait relativement récent. Le mot lui-même de « classe, » avec ce sens-là, qui est le premier, semble être, assurent les dictionnaires, entré dans la langue au XIVe siècle. Encore l’exemple qu’ils en donnent correspond-il mieux à ce que la science politique moderne appelle des ordres qu’à ce qu’elle appelle proprement des classes. Ce sont, à l’origine, des « catégories de citoyens : les trois classes des patriciens, des chevaliers et des plébéiens dans l’ancienne Rome ; des nobles, des vilains, des serfs au moyen âge. » Puis, « de nos jours, par une analogie tirée de l’inégalité des conditions, les hautes classes, les basses classes. » Enfin, par extension, « l’ensemble des personnes qui ont entre elles une certaine conformité d’intérêts, de mœurs et d’habitudes : classes gouvernantes ou dirigeantes, classes industrielles, agricoles, ouvrières ; les classes laborieuses, celles qui travaillent spécialement. »

D’ailleurs, toute cette terminologie est assez confuse et s’obscurcit en outre, quand on veut pousser plus avant, du fait que les théoriciens qui s’y sont le plus appliqués, et qui sont surtout des Allemands, intervertissent les choses, disant souvent « l’ordre » où nous dirions « la classe » et « la classe » où nous dirions « l’ordre. » Il ne serait pas sans péril, et au surplus il serait sans profit, de s’attarder à la démêler. Ne suffit-il pas de bien noter ce que nous entendrons, nous, par « la classe ouvrière ? » Nous y arriverons en refaisant le chemin à l’envers, en remontant la pente des trois sens ou des trois temps d’un sens demeuré, au fond, presque le même, en rechargeant le mot de tout ce qu’il contient, pour le contenir toujours ou l’avoir une fois contenu : de telle sorte que la classe ouvrière, ce sera sans