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émoussé, c’est l’amour de sa montagne et de ses Mirdites. Il exerce sur son peuple une autorité patriarcale, mal définie, mais incontestée et toute-puissante ; son prestige s’étend sur toutes les tribus catholiques et même sur quelques tribus musulmanes. Loyal vis-à-vis du Sultan, il sera le fidèle auxiliaire du gouvernement Jeune-Turc tant que celui-ci respectera les traditions et l’autonomie partielle de la Mirditie. Prink-Pacha est un ami fidèle de la France, protectrice désintéressée de sa famille et de son peuple.

Tels sont les Mirdites : jamais peuple plus infime ne tint une place si considérable dans la vie politique de l’Europe. La Mirditie est, dans la sauvage Albanie, Je conservatoire des traditions et des mœurs nationales ; elle a son organisation sociale et ses chefs qui sont les premiers personnages de l’Albanie ; elle se réclame de puissantes protections européennes ; elle semble prédisposée à devenir un foyer de vitalité nationale albanaise.


IV

Avant qu’éclatât la révolution jeune turque de juillet 1908, il existait un mouvement national albanais ; il se manifestait sous des formes diverses, confuses et parfois contradictoires, qui décelaient cependant le cheminement de l’idée d’indépendance. Au printemps de 1908, dans la région d’Argyrocastro et de Chimara, en pays tosqué, des bandes se forment et répandent le portrait de Scanderbeg et des proclamations timbrées de l’aigle albanais à deux têtes ; ces bandes sont surtout formées de musulmans, mais on y voit aussi des chrétiens valaques roumanisans ; elles s’attaquent aux « Grecs albanophrones, » qu’elles contraignent à se déclarer Albanais. Les Turcs et les Grecs attribuent cette agitation nationaliste aux intrigues bulgares et autrichiennes ; ils citent comme preuve le journal albanais la Drita qui préconise une entente avec les Slaves. On signale sur les côtes des débarqueinens d’armes et le passage d’agens suspects que l’on dit tantôt au service des prétendans, Aladro ou Ghica, tantôt à la solde de l’Autriche ou de l’Italie. Les Albanais, eux, affirment que leur mouvement n’est pas dirigé contre les Turcs, et qu’il s’agit seulement d’obtenir une reconnaissance de la nationalité albanaise sous la forme linguistique et littéraire. Intrigue italienne, entre-croisant ses fils avec l’intrigue