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garantie de sécurité, ne prit fin qu’avec la révolution de juillet 1908. Les Mirdites, privés de leur prince, envoyaient adresse sur adresse à Constantinople pour demander qu’il leur fût rendu et, en attendant, ils ne permettaient pas aux caïmakans, nommés par la Porte, de pénétrer dans leur pays. Parfois les autorités turques, profitant d’un jour de marché à Scutari, emprisonnaient quelques-uns des chefs de la montagne, mais aussitôt les Mirdites interceptaient la route de Prizren et il fallait relâcher les otages. Si le gouverneur tentait d’envoyer des bataillons dans la montagne, le consulat de France ne manquait pas de s’y opposer. La Mirditie restait donc indépendante de fait : un cousin de Prink-Doda, Marco Gion, cherchait, avec l’appui secret du gouvernement ottoman, à s’y créer une influence aux dépens de son parent ; mais l’autorité réelle appartenait au chef religieux des Mirdites, l’abbé d’Orosi, Mgr Primo Docchi.

Mgr Docchi est un Mirdite ; mais son éducation romaine et cléricale a adouci et comme estompé la fougue et l’âpreté naturelles de son tempérament montagnard. Aux États-Unis, où il vécut à l’époque où les défiances d’Ab-ul-Hamid lui interdisaient la terre natale, il prit contact avec le pays de la liberté religieuse et du self help. De caractère énergique et d’esprit très subtil, souple par politique et tenace par nature, cultivé, disert, Mgr Docchi dénote, dans toute sa personne, l’étrange alliage de civilisation italienne et catholique et d’atavisme albanais. Dans sa maison de Scutari, où j’ai eu l’honneur de l’entretenir, parmi les objets pieux et les beaux livres, l’ancien secrétaire du cardinal Agliardi, avec sa soutane boutonnée de rouge et son camail à rubans violets, aurait tout à fait la tournure d’un prélat romain, n’était la forte moustache brune qui ombrage ses lèvres. À cheval, sur les sentiers de la montagne ou dans son village d’Orosi, botté et armé, sa physionomie se transforme : il rappelle ces évêques du moyen âge, conducteurs de peuples, chefs religieux et nationaux, inhabiles aux distinctions savantes entre le spirituel et le temporel, mais également capables, selon l’occurrence, d’argumenter dans un concile, de brandir l’épieu contre l’ours ou le sanglier, de conduire leurs ouailles à la bataille ou de les gouverner dans la paix.

Le prince dès Mirdites, Prink Pacha Bib-Doda, a aujourd’hui cinquante ans ; de caractère doux, libéral, ami des lettres et pacifique, il n’a qu’une passion, que son long exil n’a pas