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exercer l’intérim au gouvernement pendant la minorité ; mais il se laissa séduire par l’or et les promesses d’Essad Pacha, vali de Scutari et chercha, à son instigation, à supplanter son pupille ? il accepta le titre de caïmakan qui faisait de lui un simple fonctionnaire ottoman ; le pays fut occupé par les troupes turques et les anciens privilèges des Mirdites déclarés abolis. Alors l’ambassadeur de France intervint et Essad Pacha reçut l’ordre d’évacuer la Mirditie. Tandis que le jeune Prink-Doda était retenu à Constantinople, où il vivait des subsides de la France, le pays était en proie au désordre, aux vendettas et à la misère. Enfin les événemens de 1876 ramenèrent Prink-Doda à Scutari et, au Congrès de Berlin, la France et l’Autriche, d’un commun accord, intervinrent en faveur des Mirdites. Le treizième protocole porte que « les populations mirdites continueront à jouir des privilèges et immunités dont elles sont en possession ab antiquo, » et il relate la déclaration des plénipotentiaires turcs : « la Sublime-Porte compte ne faire pour le moment aucun changement dans la situation de la montagne mirdite. » Ainsi, la demi-indépendance des Mirdites et le droit pour la France et pour l’Autriche d’intervenir en leur faveur ont un fondement juridique. Mais la tradition de confiance et de protection qui unit la France et les chefs des Mirdites n’a pas pour origine notre « protectorat catholique. » En Albanie, en vertu des traités intervenus au XVIIIe siècle entre la Turquie et l’Autriche, confirmés par la circulaire de la Propagande de 1888, c’est à l’Autriche qu’est dévolu le « protectorat. » Ainsi, de par les traités, l’Autriche a le « protectorat, » et, de par la tradition et l’usage, la France a la protection.

Les Mirdites, en 1879, entrèrent dans la Ligue albanaise de Prizren, et nous avons vu comment le mouvement, d’abord favorisé par la Porte, ne tarda pas à prendre un tel caractère et une telle intensité qu’on en fut alarmé à Constantinople. Le 13 décembre 1880, Dervish Pacha invita Prink-Bib-Doda à venir le voir et le fit arrêter et conduire à Constantinople. Abd-ul-Hamid le traita avec honneur, et, fidèle à sa politique, lui offrit les plus hautes fonctions, telles que, en 1888, le gouvernement du Liban ; en 1905, il le nomma général de brigade et son aide de camp ; mais il refusa toujours de le laisser retourner parmi ses montagnards. Cette captivité déguisée et dorée, dans un palais où la soumission même n’était pas une suffisante