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impôts et refusait de reconnaître les engagemens pris vis-à-vis de l’Europe par le Sultan. Celui-ci, à son tour, se prévalait auprès des gouvernemens européens d’une résistance qu’il se disait impuissant à briser. La question de l’exécution du traité de Berlin, arrêtée par la résistance des Albanais, troublait toute l’Europe et faisait éclater au grand jour les graves dissidences que l’autorité de Bismarck avait étouffées à Berlin. La résistance des Albanais mettait les puissances signataires dans l’alternative de laisser se manifester la fragilité de leur œuvre à peine achevée, ou de recourir à une coercition militaire ; les Russes la souhaitaient, mais les Autrichiens et les Italiens la redoutaient, les uns, en raison des difficultés qu’ils rencontraient en Bosnie-Herzégovine, les autres, par crainte d’une action autrichienne sur les côtes albanaises de l’Adriatique. Le Cabinet de Rome suggéra une combinaison. En échange des districts de Plava et de Gussinié, d’autres territoires, situés au Nord de Scutari et occupés par des tribus albanaises catholiques, seraient donnés au Monténégro. Le Sultan consentit, mais non les Albanais ; les tribus catholiques, se joignant en masse aux musulmans déjà soulevés, occupèrent fortement les cantons menacés et, quand un corps monténégrin se présenta pour les occuper, il fut accueilli à coups de fusil et repoussé.

A la Porte, les Albanais signifièrent qu’ « ils se regardaient comme déliés de toute fidélité envers le gouvernement ottoman, puisqu’ils n’étaient plus ses sujets, et qu’ils défendraient leurs montagnes pour leur propre compte et pour obtenir leur indépendance. » La situation devenait de plus en plus compliquée. Gladstone poussait à une intervention armée ; lord Fitzmaurice, à la Conférence de Constantinople, demandait que l’Europe reconnût aux Albanais une demi-autonomie. Dans cet embarras, la conférence de Berlin, alors réunie pour s’occuper des frontières de la Grèce, décida que le Monténégro, au lieu des territoires dont la Porte ne voulait ou ne pouvait pas lui faire remise, recevrait le district maritime de Dulcigno. Aussitôt les Albanais en armes se portent sur le point menacé, occupent fortement Dulcigno et mettent l’Europe une fois de plus en présence de la même alternative : ou une capitulation ridicule en face de la Turquie et des Albanais, ou une intervention armée avec toutes les complications qui en pouvaient résulter. Des navires de guerre des grandes puissances vinrent croiser devant Dulcigno,