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LA
CRISE DE L’ÈTAT MODERNE

LA CORPORATION DE L’ANCIEN RÉGIME – FORMATION DE LA CLASSE OUVRIÈRE

Dans l’essai d’analyse, où je vais me risquer, de ce qui constitue les circonstances du travail, en procédant selon les méthodes consacrées, j’aurais d’abord à décrire « l’espèce. » Si je me sers ici de ce mot, ce n’est point du tout que je prétende avoir découvert une nouvelle ou particulière espèce d’hommes qu’à l’imitation de l’école de Turin, j’appellerais, — après l’uomo delinquente de Cesare Lombroso et l’uomo parlamentare de Provido Siliprandi, — « l’homme travaillant, » l’uomo lavorante. Non, je ne soutiens pas du tout, — et je proclame même qu’il serait absurde de le soutenir, — que « l’ouvrier » (puisque c’est le terme passé en usage, et aussi bien le plus simple, quoique exagérément grandi par une sorte de légende démocratique) forme une espèce d’hommes distincte des autres, différente des autres, caractérisée par certains traits physiologiques ou psychologiques généraux et permanens, portant fatalement tel ou tel stigmate, reconnaissable à tel ou tel signe, comme l’homme criminel de Lombroso le serait au prognathisme ou à l’asymétrie de la face. « L’homme travaillant, » pur pléonasme ; par cela même qu’il travaille, l’ouvrier, c’est l’homme, l’homme éternel et universel, qui, un peu plus durement, un peu moins durement, depuis la première heure du premier âge, avant qu’il ait su compter par