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Le vaillant petit peuple monténégrin avait pris, comme allié de la Russie, une part active à la guerre contre les Turcs : en récompense le traité de San-Stefano lui assura un large accroissement de territoire ; le Congrès de Berlin, tout en réduisant beaucoup sa part, surtout du côté du Sandjak de Novi-Bazar, lui laissa, tout le long de sa frontière méridionale, une longue bande de territoire qui, par Antivari, lui assurait l’accès de la mer et lui donnait la ville de Podgoritza et les districts de Plava et de Gussinié. Ce sont des Albanais qui, en majorité, peuplent les territoires ainsi annexés. Dans la douzième séance du Congrès, le second plénipotentiaire ottoman, Mehemet Ali, fit insérer au procès-verbal une observation dans laquelle il demandait « que, pour agrandir le territoire actuel du Monténégro, il ne lui soit concédé que des contrées dont les habitans sont de la même race et, pour la plupart, de la même religion que les Monténégrins ; il regarde comme une injustice l’annexion au Monténégro de territoires habités par des Albanais musulmans ou catholiques. » Les hauts diplomates qui, sous la férule de Bismarck, procédaient au découpage des territoires et à la répartition des âmes, tenaient pour négligeables les volontés des peuples. Mais les peuples, cette fois, étaient décidés à se défendre eux-mêmes. Lorsque les Monténégrins s’adressèrent aux Turcs pour demander l’exécution du traité de Berlin, ce furent les Albanais qui se chargèrent de répondre. Quand, pour donner à l’Autriche et à la Russie un semblant de satisfaction, les Turcs envoyèrent, comme commissaire pour la délimitation de la frontière, ce même Mehemet-Ali qui, au Congrès, avait protesté contre le démembrement de l’Albanie, il fut massacré avec son escorte à Diakova (6 septembre 1878). A l’instigation secrète des agens du gouvernement ottoman, une Ligue Albanaise se forma pour s’opposer à la mutilation de la terre albanaise au profit du Monténégro et de la Serbie au Nord, de la Grèce au Sud. Le Comité central fut constitué le 1er juillet 1879 à Prizren ; trois comités siégeant à Prizren, à Scutari et à Argyrocastro surveillaient chacun l’une des trois frontières menacées. La Porte donna des armes, des munitions, des vivres, de l’argent ; mais le mouvement, une fois déchaîné, dépassa bien vite les bornes où le gouvernement de Constantinople aurait souhaité le contenir. Sous les auspices de la Ligue, une véritable Albanie indépendante s’organisait, administrait elle-même le pays, levait les