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qu’ils travaillent depuis longtemps à « albaniser » par la terreur, que des Bulgares et des Grecs, ils profitent des troubles pour usurper, avec la complicité des autorités ottomanes, de vastes étendues de terres. Quand Hilmi Pacha inaugure, dans les vilayets macédoniens, les réformes réclamées par l’Europe, de Yildiz un ordre vient de laisser les régions peuplées d’Arnaoutes en dehors du contrôle européen. Tandis que Serbes et Bulgares, Turcs, Grecs et Valaques s’entre-détruisent avec une rage indicible, l’Albanais, lui, chemine peu à peu, s’avance jusque dans les plaines du Vardar. Telle vallée, comme celle de Kalkandelen comptait, il y a quatre ans, un quart de population albanaise et trois quarts de Bulgares ; aujourd’hui, les proportions sont inversées. Bulgares et Serbes reculent devant l’Albanais. La Vieille-Serbie, autrefois toute peuplée de Serbes, est albanisée ; Ipek, qui fut le siège du patriarcat serbe, est une ville en majorité albanaise ; albanaise aussi, Okrida qui fut le siège d’un Empire bulgare. Grâce à son fusil, l’Albanais s’adjuge les terres qui sont à sa convenance et, comme dans le conte du Chat botté, il ne lui en coûte guère pour arrondir ses domaines. Serbes, Bulgares, Grecs, Valaques, ont versé des flots de sang pour la Macédoine ; si l’ancien régime turc eût duré quelques années encore, la majeure partie de la Macédoine serait devenue albanaise. Même aujourd’hui, le seul excédent des naissances donne encore aux Albanais une force d’expansion qui n’est pas sans inquiéter leurs proches voisins. Heureusement, beaucoup d’Albanais émigrent aux Etats-Unis ; ils y vivent par groupes, conservant leur langue nationale, ils y ont des clubs, des journaux ; mais ils ne renoncent pas à revenir au pays où ils rapportent de l’argent et des idées nouvelles.

L’étrange force de résistance qui a permis à ce peuple de traverser les siècles en gardant toujours son caractère et son individualité lui vient de la persistance de son organisation sociale et de son droit coutumier transmis par tradition orale, de génération en génération, tel qu’il était aux premiers temps de l’histoire. Ces coutumes sont celles des peuples montagnards et pasteurs, tels que la Bible ou Homère les décrivent ; elles ont été souvent étudiées, et nous ne pouvons ici qu’en indiquer quelques-unes. Les Skipetars, comme autrefois les Ecossais, vivent organisés en tribus et en dans ; la base de l’organisation sociale est la famille ; le clan est la famille agrandie. La terre appartient souvent à des