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d’une rive à l’autre, de nombreux bateaux sillonnent l’Adriatique. En choisissant, pour y construire son palais, la plage où est aujourd’hui Spalato, Dioclétien non seulement se ménageait une retraite agréable sous un climat délicieux, mais il s’installait dans un poste d’observation parfaitement choisi, en face de l’Italie, à la porte de l’Orient et du monde hellénique. La voie Egnatienne, de Dyrracchium à Thessalonique, resta, durant toute l’histoire romaine, la grande route de l’Orient. Après Dioclétien et la séparation des deux empires, l’Adriatique déchoit de sa splendeur. Les Avares ravagent l’Illyrie, détruisent Salone ; les Slaves s’installent sur la rive orientale de l’Adriatique, descendent jusqu’en Grèce. Ravenne aux temps byzantins, plus tard Venise, tiennent le sceptre de l’Adriatique ; mais les Vénitiens sont des commerçans, non des conquérans ; ils s’établissent sur les côtes, mais ils ne se hasardent guère dans l’intérieur. Entre la péninsule balkanique et l’Italie, le schisme élève une barrière plus infranchissable que les montagnes ; désormais les deux pays évoluent séparément et vont se différenciant de plus en plus. Lorsque, au slavisme et à l’orthodoxie byzantine, vient se superposer l’Islam, la divergence devient de l’hostilité. L’Adriatique cesse d’être une individualité vivante, reflétant sur ses deux rives la même civilisation ; elle devient une frontière : au lieu de réunir, elle divise. Les flottes de la chrétienté et celles des Turcs s’y entre-choquent. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, les ports turcs de la côte albanaise sont des repaires de pirates. Pour l’Italien, pour l’Occidental, au-delà de l’Adriatique, derrière les falaises accores qui bordent sa rive orientale, commence le pays de la Croisade et des Capitulations. Aujourd’hui, Avlona, Durazzo, sont des ports sans commerce parce que l’arrière-pays est sans routes. San-Giovanni-di-Medua, où doit aboutir le chemin de fer du Danube à l’Adriatique, n’est qu’une baie marécageuse et pestilentielle. La Bojana est ensablée ; seuls les petits bateaux peuvent à grand’peine remonter jusqu’au lac de Scutari. Si, tout au fond du grand couloir Adriatique, Trieste, Fiume, Venise, ne servaient pas de débouché au trafic d’une grande partie de l’Europe centrale, l’Adriatique serait une mer morte.

Du merveilleux belvédère du Monténégro, si l’on embrasse d’un coup d’œil l’horizon du Sud et de l’Est, on n’aperçoit, dorées par le soleil, qu’une indéfinie succession de chaînes qui entassent leurs blanches murailles entre la vallée du Vardar et