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traverse la sombre forêt nocturne. » Au premier baiser d’amour, le jeune homme entend bourdonner à ses oreilles les grandes cloches de la Noël et de Pâques ; et la paix sainte et profonde des dimanches descend en lui. Elle opère le même miracle que la gracieuse Impératrice Marie-Thérèse. Il se peut que plus d’une de ses nouvelles ne soit qu’un petit coffret aux montures de fer ; mais elle a si bien su solliciter notre imagination que nous le refaisons nous-mêmes d’albâtre et d’or. « Les vingt beaux thalers » qu’elle y a enfermés deviennent un inépuisable trésor, parce qu’elle les a baignés de ses larmes.

Le plus puissant génie du monde ne parviendra jamais à guérir nos misères. Nous ne demandons à ceux qui assument la tâche de nous distraire ou de nous instruire que d’utiliser nos énergies secrètes et de nous rehausser à nos propres yeux. La petite Paméla de Richardson disait : « S’il ne s’agissait que de sauver ma vie, je ne voudrais exposer qui que ce fût au monde pour une pauvre et indigne créature comme moi ; mais mon âme est d’aussi grande importance que celle d’une princesse. » Quand un romancier s’est pénétré de cette vérité sublime, il peut, sans crainte d’éclaboussures, s’aventurer parmi toutes les laideurs de la vie et en affronter les vulgarités les plus rebutantes. Son optimisme sera peut-être ébranlé. Il en éprouvera peut être le défaut et l’amère impuissance. L’humanité lui réserve des spectacles de dénuement et de détresse, de plate détresse, tels que les larmes tarissent et que l’imagination se dessèche. Pourtant, si dénués, si misérables que nous soyons, il y aura toujours une heure où nous nous égalerons aux plus grands. Je ne crois pas que Selma Lagerlöf ait lu Schopenhauer ; mais que son optimisme résolu se rencontre un instant avec le pessimisme de ce maître du désenchantement, cela ne serait pour déplaire ni à l’un ni à l’autre. Dans son chapitre sur l’Ordre de la Grâce, le philosophe allemand développe cette pensée que « chaque cas de mort nous paraît une sorte d’apothéose ou de canonisation. » Voici la traduction de la même pensée dans une nouvelle de Selma Lagerlöf, mais touchée de sa fantaisie et rendue légère :

« Si vous mourez dans la commune de Swartsiœ, vous savez que vous aurez une bière pareille à celle de tous, une honnête bière noire comme celle où le juge et le commissaire de police furent enterrés l’an passé, car c’est le même