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condition qu’on lui promette de ne l’ouvrir qu’après avoir consulte le peuple tout entier et seulement au cas où la misère serait trop forte. Elle exige que chacun d’eux lui jure de ne pas chercher à savoir qui le détient ; et, s’ils ne l’ont point employé, ils le légueront à leurs descendans. De ce jour, les habitans des dunes n’ont cessé de creuser et de bâtir. A chaque phare qu’ils ont érigé, à chaque port qu’ils ont curé, à chaque digue qu’ils ont construite, ils se sont dit : « Si notre propre argent ne suffit pas, nous recourrons à notre gracieuse Impératrice. » Mais leur propre argent a toujours suffi. Nul n’a vu ce trésor, sauf les matelots en perdition, car il flotte devant eux sur les vagues comme un signe qu’ils ne doivent point désespérer dans la mort pour leur femme et pour leurs enfans. C’est, disent-ils, une imitation de la cathédrale de Vienne en or pur. Sur ses côtés toute l’histoire de l’Impératrice est gravée dans l’albâtre le plus transparent. A la pointe des quatre tourelles étincellent les quatre diamans que l’Impératrice arracha de la couronne du Sultan turc… Telle est la parabole que le Père Verneau a racontée aux mineurs en grève de Charleroi dans un sermon où, sous peine de tumulte, il s’était engagé à ne nommer ni Dieu, ni la Providence. Ils en ont compris le sens ; et son évêque, qui l’a mandé pour l’entendre de sa bouche, le félicite ; mais, au moment de le congédier, il l’arrête : « Dites-moi, Père Verneau, ce trésor ?… Il existe ?… » Et le Père Verneau lui avoue que c’est un petit coffre aux montures de fer, que le curé de Blankenberghe tient en sa garde, et où il peut y avoir « vingt beaux thalers à l’effigie de Marie-Thérèse. »

Supposez cette nouvelle traitée par Anatole France, et qu’il en fasse un chef-d’œuvre comme son Procurateur de Judée. J’ignore s’il y mettrait plus d’art que Selma Lagerlöf et s’il la composerait d’une façon très différente. A vrai dire, je ne le crois pas. Elle n’en changerait pas moins de sens et de figure. Nous devinerions, sous cette prose voltairienne où a passé le romantisme, le sourire du philosophe pour qui toute religion n’est qu’une mystification et qui en considère les humbles dupes du haut de son indulgente ironie. Je serais étonné qu’il ne prêtât pas un peu de ses sentimens d’encyclopédiste affiné à son Impératrice Marie-Thérèse, et que son Père Verneau ou son curé de Blankenberghe ne nous apparût pas avec la bouche riante, les yeux vifs et les trois mentons de l’abbé Jérôme Coignard. Car enfin, cette