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LA FANTAISIE SUÉDOISE

SELMA LAGERLÖF

Un écrivain suédois qui admirait, autant qu’il le redoutait, le sens critique des Français, me disait : « En France, vous écrivez pour des ennemis ; en Suède, nous écrivons pour des amis. » Il aurait dû ajouter : « Et surtout pour le meilleur de nos amis qui est nous-même. » Les écrivains suédois ne s’adressent point à un public qui les chicane sur la qualité de son plaisir et dont l’esprit mondain aiguise le jugement et souvent émousse la sensibilité. Ce sont des isolés qui, en charmant leur solitude, distraient des solitaires. Leur génie grandit seul sur les bords d’un lac désert. L’eau lui renvoie l’image de ses fleurs La terre résonne d’un bruit sourd et doux au choc de ses fruits mûrs. Il se voit et s’écoute longuement au milieu du silence.

Quand je passai à Falun, je visitai Selma Lagerlöf[1]. Sur la place, où aboutissent des rues interminables de pignons bas et rouges, elle habitait le plus bel appartement de la ville, qu’elle avait loué, me dit-elle, à très bon marché, parce que personne dans le pays ne possédait de rideaux assez grands pour les fenêtres. Elle y vivait retirée au fond de ces larges pièces, dont la clarté des jours de neige amortissait le luisant de leurs parquets, songeuse, et les trois quarts du temps étendue sur un canapé. Le silence qui l’entourait, la vieille place dominée par le

  1. Selma Lagerlöf a publié La Légende de Gösta Berling (1891) ; Les Liens Invisibles (1894) ; Les Miracles de l’Antéchrist (1891) ; Les Reines de Kungahalla (1899) ; La Légende d’un Vieux manoir (1899) ; Jérusalem (1901-1902) ; Les Légendes du Christ (1904) ; Le Voyage merveilleux de Nils Holgersson (1906-1907).