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budget, on a déclaré qu’on désirait qu’elle le rejetât afin de pouvoir entamer contre elle une campagne de révolution politique, destinée à compléter la révolution fiscale dont le budget était l’instrument. C’est un ministre d’une incontestable originalité que M. Lloyd George. Nous en avons connu d’autres qui présentaient, eux aussi, des lois fort dangereuses, soit dans le domaine financier, soit dans d’autres : lorsqu’on s’en inquiétait, lorsqu’on s’en alarmait, ils prenaient à cœur de rassurer l’opinion et de désarmer leurs adversaires, en prouvant, — ils l’essayaient du moins, — que leurs projets étaient beaucoup plus bénins qu’on ne le supposait, qu’il n’en résulterait nullement les conséquences qu’on en craignait, que les mêmes choses s’étaient faites ailleurs et y avaient été inoffensives. Il y a toute une série d’argumens, bons ou mauvais, qui sont d’usage constant en pareil cas. Loin de s’en servir, M. Lloyd George, merveilleusement aidé dans cette tâche par le vitupératif M. Winston Churchill, a renchéri sur tout ce que craignaient, sur tout ce que redoutaient ses adversaires, en s’efforçant de les épouvanter et de les maltraiter encore davantage. On l’a toujours vu le poing tendu ; on a quelquefois entendu sortir de sa bouche le langage de la pure démagogie. S’il a voulu convaincre les Lords que la menace, pour eux, était encore plus grande qu’ils ne l’avaient cru, qu’il soit satisfait, il y a réussi. Pour qu’un homme aussi maître de lui que lord Lansdowne, le leader du parti conservateur à la Chambre haute, se soit résolu à courir l’aventure dans laquelle il a engagé son parti, il faut que de bien puissantes considérations l’y aient déterminé. Les plus graves sont assurément dans les conséquences prochaines et lointaines qu’aurait le budget de M. Lloyd George, mais il est permis de croire que l’attitude prise par le gouvernement libéral contre la Chambre des Lords y a été aussi pour quelque chose. La Chambre des Lords a été mise dans l’impossibilité de reculer.

L’amendement de lord Lansdowne, — c’est ainsi qu’on a appelé la motion qu’il a faite, — est d’une rédaction très habile. Lord Lansdowne ne propose pas purement et simplement le rejet du budget ; il demande seulement à la Chambre des Lords de dire qu’elle ne peut pas le voter sans que le pays l’ait approuvé. Il s’agit donc d’un appel au pays ; à lui de prononcer ; s’il le fait en faveur du budget, la Chambre des Lords s’inclinera. La forme est donc sauvée ; malheureusement, le fond est ici plus sérieux que la forme, et il n’est pas douteux que, si le parti libéral triomphe aux élections, s’il y a un vrai et incontestable succès, la poussée de démagogie déchaînée par le ministère actuel