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l’ouvrier ; on aurait atteint le but un peu plus lentement peut-être, mais mieux. M. Touron est un industriel ; il en a l’esprit pratique, le langage net et ferme, la compétence qui s’impose ; il a de plus du talent et une énergie de diction où l’on sent une conviction forte. Il a été l’orateur de la Commission dont il a défendu l’œuvre, en faisant toutefois les sacrifices nécessaires, par exemple au sujet des versemens partiels des patrons. Adversaire de l’obligation, mais sentant bien qu’elle serait votée, il s’est efforcé de la réduire au minimum et de laisser, dans le cadre étroit et rigide de la loi, une petite place à la liberté. Il a fait, lui aussi, une vive impression sur l’Assemblée.

On en est là. La discussion, qui a déjà pris une dizaine de séances, n’est pas près de finir ; elle sera certainement très longue, car les amendemens abondent. Le Sénat est d’ailleurs décidé à ne pas se presser Pourquoi le ferait-il ? Il a de bonnes raisons pour étudier la loi sur les retraites ouvrières avec tout le soin qu’elle mérite ; et d’ailleurs la Chambre, qui, elle, en a de beaucoup moins bonnes pour cela, ne se presse nullement de voter le budget. On marche lentement vers un ou plusieurs douzièmes provisoires, ce qui sera d’un bien fâcheux effet à la veille des élections.


La place nous manque aujourd’hui pour parler comme il conviendrait de l’Angleterre et de l’épreuve angoissante qui se prépare pour elle. Lorsque nous avons entretenu pour la dernière fois nos lecteurs du budget de M. Lloyd George, la discussion n’en était pas encore terminée à la Chambre des Communes, et, au milieu des bruits contradictoires qui couraient, il était impossible de savoir ce que ferait la Chambre des Lords. On a cru assez longtemps que, en dépit du langage véhément, violent, passionné, que les deux partis tenaient l’un contre l’autre, leurs chefs chercheraient un terrain d’entente et qu’ils le trouveraient. On disait même discrètement que le Roi désirait une transaction, prémisse d’une détente. Mais, en écoutant les orateurs qui, surtout du côté ministériel, provoquaient et injuriaient leurs adversaires à la façon grandiloquente des héros d’Homère, il était difficile de croire que ces pronostics optimistes se réaliseraient. Ce n’est pas habituellement avec de pareils procédés et un pareil langage qu’on va à la conciliation. La Chambre des Lords a été placée dans l’alternative de se soumettre ou de se démettre, avec une arrogance offensante qui aurait fait de sa soumission une abdication et une humiliation. On l’a provoquée, on l’a mise au défi de rejeter le