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c’est-à-dire en face d’un déficit de 200 millions qu’il avait annoncé la volonté de combler au moyen d’un même chiffre de recettes. Le pays doit, en effet, s’accoutumer à la pensée que, quand on fait des dépenses, il faut les payer. En principe, M. Cochery était inattaquable ; mais, en fait, on ne peut proposer des impôts nouveaux sans menacer, et même sans atteindre des intérêts qui sont souvent respectables, et on s’expose à provoquer contre soi une levée de boucliers. C’est ce qui est arrivé à M. le ministre des Finances. Pensez donc ! il demandait une portion notable de ses recettes à diverses denrées alimentaires, dont la plupart sont liquides. Toucher aux marchands ou aux débitans de vin et de liqueurs est la témérité suprême sous un régime comme le nôtre. Pourtant cette partie du budget de M. Cochery n’est pas la plus critiquable ; celle qui se rapporte à l’augmentation des droits successoraux, déjà si démesurément accrus dans ces dernières années, l’est beaucoup plus. Mais les héritiers éventuels ne sont pas organisés en corporation ; ils ne sont pas syndiqués ; le jour où ils toucheront leur héritage est incertain ; ils sont frappés les uns après les autres, à des intervalles parfois très éloignés, et non pas tous en même temps ; le mal que fait une mauvaise loi successorale n’est donc pas senti tout de suite, tandis que le tort fait aux débitans de boissons est immédiat et frappe la collectivité tout entière, lorsqu’on élève la taxe qu’ils doivent payer. Aussi une grande agitation s’est-elle produite parmi eux. Les députés des grandes villes, comme M. Georges Berry, ou ceux des régions viticoles, comme M. Lasies, ne pouvaient pas y rester indifférens. MM. Berry et Lasies ont été les auteurs d’une des motions dont nous avons parlé plus haut, qui avaient pour but de rejeter en bloc et sans phrases inutiles les impôts imprudens de M. Cochery, et c’est sur ce terrain que les ennemis avoués ou inavoués du ministère se sont donné rendez-vous. Le gouvernement a senti la nécessité de manœuvrer. M. le ministre des Finances a continué de déclarer qu’il n’admettrait pas le rejet de ses impôts dans les conditions sommaires que proposaient MM. Berry et Lasies ; il demandait, il exigeait que ses impôts fussent discutés un à un, annonçant toutefois qu’il les défendrait sans amour-propre d’auteur, et qu’il était prêt à y renoncer, à la condition qu’on en trouvât d’autres pour les remplacer. Que voulait-il, en effet ? L’équilibre du budget. Si l’on assurait par d’autres moyens que les siens, il n’y ferait pas d’objections. Cette attitude du gouvernement était habile sans doute, mais ce n’était pas une solution : elle reculait seulement la difficulté. On ne pouvait pas renverser un ministère qui demandait que, conformément à la méthode habituelle, la