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en vue des peintres de la Cour. De ses travaux d’alors, de toute son œuvre d’apparat pour les souverains et les ministres, dans les châteaux et les palais, au Luxembourg, à Rueil, au Palais-Cardinal, rien ne subsiste plus, hormis de rares et splendides portraits : ceux de Richelieu, par exemple, sont des pages somptueuses, d’une opulence de vie et d’une sonorité inconnues à l’école française. Puis il avait éprouvé de grands malheurs. Des chagrins domestiques l’engagent à une demi-retraite. A trente-six ans, il perd sa femme. De ses trois enfans, il ne lui reste qu’une fille. Cette fille, pensionnaire à Port-Royal, se fait religieuse. Son père ne la suivit pas ; il ne se mêla pas aux pénitences des solitaires ; mais son cœur, si je puis dire, prit le voile avec son enfant. Il s’écarta du monde sans ostentation. On voyait régulièrement aux séances de l’Académie, dont il était un des « anciens, » ou membres fondateurs, sa stature corpulente et son majestueux visage. Il habitait sur la montagne Sainte-Geneviève, la paroisse janséniste de Saint-Jacques du Haut-Pas, quartier de collèges et de couvens, plein de jardins et de silence, où il respirait plus à l’aise, et où la vie se rythmait au son des Angélus. Là, il méditait ses grandes pages savantes et austères. Et de temps en temps, il se divertissait à faire des paysages.

Plus tard, il se retira à l’ombre de Saint-Gervais, dans l’étroite rue des Écouffes ; lieu plus sombre, plus étouffé, qui allait à cette fin d’existence veuve et en grisaille. Il était si religieux qu’il refusa de peindre un dimanche une postulante qui devait prononcer ses vœux le lendemain. Souvent il allait voir sa fille à Port-Royal. Dans les allées du parc, il causait longuement avec M. Hamon ou M. de Saci, qui l’entretenaient de son art, et qui l’estimaient pour sa science et pour sa piété. Tout, en lui et autour de lui, portait une ombre janséniste. Sa servante, en mourant, légua ses économies à Port-Royal. Pour lui, le nécrologe le résume en deux mots : « Philippe de Champagne, bon peintre et bon chrétien. »

Telle est l’initiation qui fit de cet étranger, de ce grand coloriste, le peintre incomparable de la plus sévère des familles religieuses. Il était humble ; peu créateur, il avait le goût de la réalité. Dans le tableau de Rébecca de son maître Poussin, il regrettait l’absence des chameaux d’Eliézer. Pour sa part, il n’omettait pas, dans son Eve pleurant la mort d’Abel, le chien qui vient flairer le cadavre de son maître. Ces traits faisaient dire qu’il avait conservé de la lourdeur de son pays. Mais par-là il était un portraitiste irréprochable. Port-Royal a toujours eu le goût des souvenirs et des reliques. On se rappelle M. Le Maître tranchant les mains au cadavre de