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veille de sa ruine, ce petit monde anéanti. Entrons dans l’église sombre de Robert de Luzarches, au sol pavé de tombes ; jetons un regard sur l’autel que décore la Cène sévère de Philippe de Champagne ; puis, la clôture franchie, pénétrons dans le chœur où chantent, blanches et droites devant leurs stalles sculptées, les quatre-vingts religieuses. Après les vêpres, suivons la procession des nonnes, faisant le tour du préau du cloître jonché de roses, chacune tenant un cierge en main, dans la lente psalmodie des proses et des hymnes. Puis, c’est l’assemblée du chapitre, et l’admirable concile de ces robes candides, signées d’une croix de sang, sous le voile aux ailes noires ; ce sont les exercices de la communauté, l’ordre et le silence du réfectoire, le long corridor des dortoirs, avec ses devises sépulcrales sur le linteau de chaque cellule, les offices charitables de l’infirmerie, de la lingerie, ceux de la porte où se fait, dans le large panier tenu par deux valets, la distribution du pain aux mendians. Une autre page nous montre la récréation, où les moniales filent en cercle sur les bancs de la « Solitude, » à l’ombre d’un petit bois, arrosé d’un ruisseau, et que domine un Calvaire. Et tout autour, ce site charmant, demeuré, lui, presque intact, où Racine enfant rêva ses premiers vers. Certes, ce sont de médiocres gravures que celles de Magdeleine de Boulogne et de Magdeleine Hortemels : pourtant il s’en dégage un parfum que n’ont pas beaucoup d’œuvres plus adroites et plus ambitieuses. C’est la mélancolie des choses qui vont mourir.

Il ne faudrait pas croire le XVIIe siècle inaccessible à cette sorte d’émotions. On n’a pas attendu Chateaubriand pour comprendre et goûter la poésie du christianisme. Ces âmes cloîtrées connaissaient le génie des cloîtres. Je n’évoquerai pas les divins chœurs d’Esther à propos de ces naïves images. Mais comment ne pas rappeler ces expressions touchantes de la sœur Anne-Eugénie qui, en regardant le ciel au-dessus du dortoir, « s’imaginait, dit-elle, qu’il y était plus serein qu’ailleurs ; » qui, en ses jours d’abattement, se sentait « toute ravie » en apercevant les étoiles, et ne résistait pas à la « douce harmonie » que faisait, dans le vallon, la palpitation des trois cloches de Port-Royal ?

L’essentiel du livre, c’est l’admirable répertoire de portraits qu’il nous offre : il y a là, en trois cents figures, l’annuaire complet de Port-Royal, tout ce qui se meut, vit, intrigue, combat, dispute, agit ou s’agite pour ou contre, partisans, adversaires, amis ou ennemis, hommes et femmes, clercs et laïcs, évêques, papes, princes, gens d’épée ou de robe, tout ce qui, de près ou de loin, dans un sens