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imitant la superposition des couches liquides, ajoutera la sensation de la profondeur à celle du mouvement. Bientôt, aux notes essentielles, employées seules d’abord, viendront s’agréger les notes de passage ; mais elles ne feront qu’effleurer les premières, et celles-ci continueront de marquer la mesure et de régler en quelque sorte la fuite des eaux. Les valeurs maintenant se divisent, les croches se changent en doubles ; variante nouvelle, par où s’accroît encore l’impression du glissement et de la vitesse. Le rideau se lève, et les trois Ondines commencent de chanter. La première note que pose la voix de l’une d’elles est la première aussi qui soit étrangère à cet accord parfait tenu depuis si longtemps. Sans violence, rien que par une touche délicate autant qu’imprévue, elle en rompt un instant le charme, mais ce n’est que pour l’imiter ou le reproduire, et, de l’appoggiature légère, un nouvel ordre d’harmonies, parfaites toujours, naît et se reforme aussitôt. D’un bout à l’autre de la scène, il en sera constamment ainsi. Presque partout s’enchaîneront, se fondront les unes dans les autres les consonances pures et les accords inaltérés. La rayonnante apparition de l’or en réalisera pour ainsi dire la suprême perfection. Les mêmes notes sonneront la claire fanfare du métal qui va s’embraser. Et quand il brillera, quand il brûlera, perçant de son éclat aigu les ondes qui ruissellent autour de lui sans l’éteindre, enivrées alors et triomphantes, les agiles gardiennes lanceront sur les notes invariables, par degrés, et jusqu’à la tonique supérieure, leurs cris d’enthousiasme et d’amour. Hélas ! la menace, puis l’attentat consommé d’Alberich troublera ces fraternels concerts. Pourtant, la douleur même des Naïades ne jettera pas le désordre en leurs chansons harmonieuses, et plus tard, bien plus tard, quelques accords mineurs, mais parfaits comme ceux qui fêtaient la présence et la pureté de l’or, en pleureront la profanation et la perte.

Ur-Melodie, mélodie primitive, j’en sais plus d’une qui mériterait aussi bien que la première, celle du prélude, d’être appelée ainsi. Nombreux sont les thèmes de Rheingold constitués par les élémens de l’univers sonore qu’on peut nommer essentiels, puisqu’il n’est rien dans la musique entière qui ne vienne de cette origine, l’accord parfait, et ne retourne à cette fin. C’est un accord parfait dont la voix de Loge, vantant les délices d’amour, égrène, en un ton clair, les notes cristallines. Accord parfait, dans une des dernières scènes, l’appel de Donner aux nuées, aux vapeurs de l’orage. Accord parfait, quelques pages plus loin, la gracieuse invitation de Froh, mettant l’arc-en-ciel, comme un pont, ou comme une avenue