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la parole joue un rôle prépondérant. » On y converse, on y « cause » volontiers, et la « causerie » wagnérienne, ici comme ailleurs, ne saurait toujours passer pour un modèle de concision et de vivacité. Le (il en est un peu long, un peu lourd ; il arrive qu’il traîne, s’embrouille ou se noue. Mais, dans Rheingold aussi, l’épisode ou l’effusion lyrique est fréquente, et souvent un motif unique suffit, tant il a d’ampleur et de vertu créatrice, à la constituer. « J’aime beaucoup l’air de Loge, » disait à Bayreuth, en 1876, un des premiers auditeurs de l’ouvrage. Il aurait dit tout à fait bien s’il eût qualifié non pas d’air, mais seulement de lied, le fragment le plus mélodique et le plus exquis du récit du jeune dieu.

Plus bref, et de beaucoup, tel autre thème, celui de la forge par exemple, nous apparaît tout de suite comme une figure sonore originale et significative, avant, bien avant que nous ne puissions prévoir quelle symphonie (le premier acte de Siegfried) en doit sortir un jour. Mais surtout la première et la dernière scène de l’ouvrage sont d’une largeur, d’une liberté, d’une magnificence extraordinaires. Ajoutons que la beauté de l’un et de l’autre tableau consiste moins dans la combinaison que dans l’unité, moins dans l’enchevêtrement de nombreux motifs que dans le développement d’un thème unique. C’est même une des raisons qui donnent à l’introduction comme à la conclusion de Rheingold un caractère, en quelque sorte classique, d’assurance, de certitude, que la musique de Wagner ne possède pas toujours au même degré.

Une autre cause expliquerait peut-être cette impression de sécurité, ce plaisir sans trouble et sans défiance qu’à l’audition comme à la lecture de l’Or du Rhin nous avons plus que jamais ressenti. Gounod disait un jour qu’il aurait voulu se bâtir une cellule dans l’accord parfait. Le Wagner de Rheingold s’y est construit plus d’un palais, et merveilleux. Le célèbre prélude est le premier, château d’eau véritable, château sous les eaux, demeure de cristal où se jouent en chantant les divines nageuses.

Tout le monde connaît, et depuis longtemps, la composition de ce prélude. En bas, tout en bas, sur le fond même du fleuve, se pose d’abord la tonique ; la dominante bientôt s’y ajoute, puis la médiante, et voilà l’accord parfait constitué. Le morceau tout entier sera formé de ces trois seules notes, mais sous combien de formes diverses, dans un ordre que de fois changé ! Il en faut premièrement observer la disposition rythmique, à six-huit ; elle produira l’image sonore du courant et de la fluidité. Puis, la même figure, répétée à différens niveaux,