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encore l’âme du pays basque. Il en a manqué, trahi le caractère dominant, fait de gravité, de froideur austère et souvent de taciturne tristesse. Pour être vraiment basque, pour l’être à fond, ou au fond, cette musique est trop dépourvue de calme d’abord, et puis, excusez le paradoxe apparent, de silence. Elle se donne trop de mouvement, elle fait trop de bruit, et par là surtout, elle n’est pas ressemblante.

La patrie de Chiquito inspira déjà plus d’une œuvre musicale. On pourrait citer une Rapsodie basque, du pauvre Charles Bordes, et le drame lyrique, les Trois bagues, qu’il laisse inédit et même inachevé ; plusieurs pièces curieuses de Mme Ducourau-Petit, une rapsodie encore, jouée dernièrement aux Concerts-Chevillard, de M. Philip, enfin et surtout la délicate et poétique partition de M. Gabriel Pierné pour le Ramuntcho de Pierre Loti. Mais l’impression la plus vraie et la plus vive de là-bas que les sons m’aient donnée, je la dois peut-être à certaine page de la Habanera, le drame lyrique de M. Laparra que l’Opéra-Comique a représenté pendant l’avant-dernière saison. Dans cet ouvrage, espagnol d’ailleurs, espagnol du Nord, il y avait, au début du troisième acte, une brève échappée, où le pays basque, familier et cher à l’auteur, se faisait reconnaître sûrement de ceux qui le comprennent et qui l’aiment. Peut-être avez-vous oublié la sinistre aventure. Ramon a tué Pedro, son frère, à cause de Pilar, que l’un et l’autre ils aimaient. Après quelques mois, Pilar, ne soupçonnant pas en Ramon le meurtrier, est devenue sa femme, et le funèbre anniversaire les trouve tous deux, elle mélancolique, lui farouche, dans le cimetière et sur la pierre même du tombeau. Pour guérir le chagrin qui la dévore, elle parle à Ramon, l’innocente Pilar, de quitter leur patrie et d’aller vivre ensemble « chez les Basques heureux, » sous des cieux étrangers et plus doux.


Et quand nous serons vieux, chère âme,
Toujours amans, toujours ainsi,
Là-bas, dans un pays très calme,
Nous irons nous reposer, dis.


Ouvrez la partition à cette page, à ces mots, et les notes évoqueront pour vous le pays. Comment ? Par des traits sobres, mais choisis : d’abord un prélude d’orchestre, en accords tranquilles et lents, diatoniques, vaguement religieux et coupés çà et là de silences. La voix féminine s’y unit bientôt ; sur les harmonies austères elle pose doucement ses notes graves, monotones, les mêmes souvent, souvent interrompues aussi. De tout cela, ou plutôt du peu qu’est cela, s’exhale un