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le mouvement, ruthène, mouvement de paysans anarchistes et d’intellectuels illettrés, contre la civilisation polonaise, fine, généreuse et largement humaine, — à Vienne où ils ont réussi à faire condamner l’illustre Sienkiewicz dans un procès inique intenté par quelques étudians qui l’accusèrent d’avoir calomnié « leur groupement. » Un des poètes les plus brillans de Cracovie, l’éloquent Rydel, noble esprit à la Goethe, fervent de la beauté antique et des mœurs idylliques, ramène sans cesse la conversation sur la pédantesque bureaucratie de Berlin, la lourdeur teutonique, la laide et prétentieuse civilisation de la Germania. Il ne songe point sans horreur aux victimes de Novi Swiat, aux étudians arrêtés pour avoir eu chez eux des brochures socialistes et exécutés après deux ans de détention sans interrogatoire, après une instruction d’une heure. A Praga une jeune dame bien connue de toute la Pologne pour l’admirable dévouement avec lequel elle s’est consacrée à défendre et à soutenir les prisonniers, nous déclare, tout en consolant des mères qui attendent depuis un an le jugement de leurs fils, qu’elle aime mieux habiter la Pologne russe, où la mort peut vous frapper chaque jour, que la Posnanie, où c’est l’étouffement lent et inévitable, l’enlizement dans la germanisation.

Ce qui indigne et navre le plus les Polonais, c’est que l’Allemagne, par des procédés minutieux et merveilleusement méthodiques, menace à Posen la nationalité dans l’ensemble de la race : à côté d’un tel danger, peu importe le sacrifice de milliers de vies dans la capitale et à Lodz ; la nation polonaise y survit, dix fois plus forte et consciente qu’au temps de son indépendance. Percevant ce sentiment quasi unanime et en tirant parti avec un sens politique très habile, en 1907 un professeur russe prit l’initiative de convoquer un congrès slave, et un cercle important de Pétersbourg, composé en majorité des membres du parti gouvernemental des Octobristes, envoya en Autriche un délégué pour inviter les Slaves de l’empire des Habsbourg à une conférence préliminaire où serait discutée la question même du congrès. Puis les Tchèques, envahis par les Allemands qui, au moyen d’associations enserrantes, les dépouillent de leurs propriétés, les enveloppent de banques et d’usines par un système de conquête capitaliste, et veulent même adultérer leurs universités, ont fait appel aux Polonais des trois Polognes. Après s’être allié adroitement les Croates-Slaves, les Serbes et les Bulgares,