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supérieur à celui des Anglo-Saxons et des Latins, est parfois aussi forte que le patriotisme de nationalité, quand les libertés essentielles ne sont pas trop brutalement opprimées. Alors, pendant longtemps, les rigueurs de l’autocratie déconcertèrent toute idée de confédération slave, une telle confédération, même exclusivement spirituelle, ne pouvant se réaliser qu’en assurant l’hégémonie de l’élément russe, le plus important de beaucoup. De 1905 à 1908, les exécutions ne faisaient pas trêve à Varsovie ou à Lodz ; mais, au lendemain de la loi prussienne sur la propriété en Posnanie, une haine si profonde et si véhémente de l’Allemagne s’est accentuée dans le cœur des Polonais du Royaume et du Duché, qu’elle a atténué le ressentiment soulevé par la dureté moscovite. Tous les esprits se sont trouvés favorables à une entente slave contre le germanisme si vigoureusement actif et provocant, dût-elle servir Pétersbourg. Au fond, même chez des socialistes, nous avons constaté des prédispositions à quelque complaisance pour le Tsar, par esprit de réaction contre l’Allemagne et ses fonctionnaires.

Cet état d’âme, qui persiste malgré tout, présente à l’étude un grand intérêt. A Vienne, à Cracovie, à Lemberg, à Zakopane, à Varsovie, à Posen, à Berlin, nous nous sommes entretenus avec les représentans des classes et des professions diverses : nous avons été continûment frappés d’une indulgence relative pour le gouvernement russe et de la haine, — opiniâtre et méthodique chez les esprits les plus indisciplinés, — pour le gouvernement prussien. L’aristocratie riche, elle aussi, malgré l’aisance avec laquelle elle évolue entre les stations élégantes de l’Italie et de la France et la mentalité cosmopolite qui est ainsi déterminée chez elle, concentre avec âpreté son patriotisme à détester en Allemagne un autocratisme à esprit de fonctionnaire tatillon, à procédés de tabellion spoliateur : il y a évidemment pour un gentilhomme, surtout pour un gentilhomme polonais, quelque chose de plus agaçant à être exproprié administrativement qu’à être emprisonné et déporté, ce qui laisse encore du terrain à la poésie des évasions. A Varsovie, c’est l’état de siège ; à Posen, c’est l’obsession : extorsions, amendes, tracasserie incessante et savante, injure quotidienne. Avec abondance les chefs et businessmen du parti réaliste, dédaignant les autres questions, nous documentent sur l’ingérence des Allemands en Russie, en Galicie, — où ils suscitent