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polonaise dans les livres de mairie : un ordre ministériel les y autorisa pour une partie des actes, mais cela même, on ne croit plus pouvoir le garder longtemps. Le découragement est général, très favorable à la renaissance des sociétés secrètes qu’avait à peu près dissipées l’espoir d’une autonomie même fort limitée. Les activités intellectuelles qui désiraient s’employer au développement de la culture polonaise sont rejetées vers la politique, le plus souvent vers la politique révolutionnaire. Tous les partisans de l’entente loyale sont portés à démissionner : le président du club polonais de la Douma s’est déjà retiré en 1908, ses collègues se tiennent prêts à suivre son exemple cette année ; dans le Conseil de l’Empire aussi, un dernier projet de loi qui réduit encore les droits électoraux des Polonais ayant été adopté, des démissions ont été offertes. On s’achemine vers une grève de députés.

Elle ne serait point de leur part une bouderie puérile : la situation devient trop ingrate pour eux. Ils ne veulent pas paraître plus longtemps aux yeux de l’Europe participer à un pouvoir législatif qui n’accorde aucune atténuation de régime à leur pays, puisqu’ils n’obtiennent même pas, comme toutes les minorités parlementaires des autres Etats, un certain nombre de concessions honorifiques. Ce sont en général des gens très froids, un peu compassés et raidis, de cet aspect sévère qu’une dignité naturelle impose aux représentans d’un peuple qui vit sous des lois d’exception, prompts cependant à la cordialité, toujours prêts à se donner immédiatement et entièrement à une lâche de collaboration dévouée dès qu’on la leur offrira, vivant donc dans une expectative fatigante. On voit tout de suite dans leurs traits une patience dramatique, une résignation contractée ; leur visage est sans lumière : c’est que, très laborieux, ils sont réduits à une desséchante inutilité, et il n’y a peut-être pas de consomption plus épuisante que celle de parlementaires patriotes réduits à une impuissance solennelle. Très intelligens et vifs, ils doivent s’astreindre à des discours secs, courts, extrêmement modérés, sans éclat, dans une Douma étrangère, devant une gauche gênée, une droite méfiante, une extrême-droite implacable, une extrême-gauche hostile.