Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/669

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il dépend des événemens qu’elles leur soient progressivement rendues ; une modification de frontières est plus grave.

Aussi l’affaire de Chelm est-elle venue, en 1909, agiter la Pologne plus profondément que cela ne s’était vu depuis longtemps, froissant à vif la susceptibilité nationale, provoquant une unanimité de sentimens qui ne s’était pas produite pendant les troubles de 1904 et de 1905. Le 26 janvier dernier, le conseil des ministres a décidé de présenter à la Douma un projet de loi pour détacher du « Royaume, » — terme désignant le territoire reconnu à la Pologne par les traités de 1815, — plusieurs districts orientaux (758 000 habitans) où il y a une forte minorité d’orthodoxes (310 000) anciennement uniates de race ruthène, et pour les réunir en un gouvernement dit de Chelm qui dépendrait directement du général gouverneur de Kiev. Depuis un siècle, la possibilité de cette amputation avait été envisagée plusieurs fois, mais aucun des tsars, pas même Nicolas Ier, ne s’était décidé à l’ordonner : tous les gouverneurs de Varsovie et agens spéciaux chargés d’étudier le projet (tel Milutine) s’étaient opposés à cette opération en déclarant « qu’elle ne ferait qu’exciter sans profit l’exaspération des populations[1], » en faisant ressortir qu’on’ offrait à la diplomatie prussienne l’occasion d’insister, comme en 1863, pour de nouveaux démembremens, de nature à faciliter des cessions de territoire. Un seul, le comte Schouvalof, sous Nicolas II (en 1895 et 1896), s’y est montré favorable. Comment le gouvernement a-t-il donc pu se laisser entraîner aujourd’hui à reprendre l’affaire ? C’est que, depuis l’édit de tolérance d’avril 1905 accordant la liberté religieuse, les uniates[2], réunis de force et par le martyre à l’orthodoxie, sont rentrés en masse dans le catholicisme : on en a vu en quelques semaines 400 000 (dont 180 000 pour le gouvernement de Chelm) affirmer devant les autorités qu’ils voulaient ne plus être tenus pour orthodoxes. Le Saint-Synode n’a pu en prendre son parti. En vain le gouverneur général de Varsovie, Maximovitch, a-t-il reconnu « mensongères » les plaintes de l’évêque orthodoxe de Lublin sur le zèle du clergé catholique au lendemain de l’édit de tolérance : après le départ du ministre de l’Intérieur Dournowo, qui avait repoussé ses doléances, le Synode a agi sur le

  1. Ainsi s’est prononcé également le gouverneur actuel, général Skalon.
  2. Catholiques de rite grec uni, soumis au Pape qui tolère le mariage de leurs prêtres.