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En somme, l’antixénisme est une des caractéristiques les plus nettes et les mieux démontrées de la vie et des êtres vivans.

Il semble que ce chapitre nouveau de physiologie creuse singulièrement le fossé qui sépare les phénomènes vitaux des phénomènes physicochimiques, la biologie de la physicochimie.

On ne conçoit pas une machine, quelque perfectionnée qu’elle puisse être, qui ait en elle-même une force d’adaptation, de régulation, de défense et une force antixénique semblables.

Mon maître M. Alfred Fouillée l’a dit excellemment : « Un chronomètre a beau être fait pour marquer l’heure future : aucun de ses mouvemens, à lui, n’enferme une finalité immanente ni ne tend à marquer l’heure. Il ne porte pas en lui-même un but qui se maintienne identique et suscite de nouveaux moyens quand les anciens manquent. Touchez à l’un quelconque de ses rouages, c’est fini ; l’heure ne sera plus marquée ; la roue qui tournait à gauche n’essaiera pas de tourner à droite pour continuer de poursuivre l’œuvre ; l’aiguille n’essaiera pas de s’appuyer sur un nouveau ressort pour pouvoir tourner. »

Rien, dans cette machine perfectionnée qu’est un chronomètre, ne rappelle cette action régulatrice, antixénique, thérapeutique, dont l’être vivant trouve le point de départ en lui-même.

Chez l’être vivant, continue M. Fouillée, la fin poursuivie reste la même, « alors que le mécanisme des moyens est altéré : le chronomètre vivant continue de tendre à l’heure future, alors même qu’on lui a enlevé plusieurs de ses ressorts ; il supplée à l’un par l’autre, comme si le bien à venir agissait sur lui par l’intermédiaire du bien et du mal présens. Dans le chronomètre, tous les mouvemens se déroulent et s’expliquent d’une manière adéquate, sans aucune considération de l’heure, tant du moins qu’on ne sort pas du chronomètre pour remonter à l’horloger. Au contraire, le besoin de vivre et de jouir, avec les mouvemens corrélatifs, existe dans l’être vivant, non au dehors, et y devient le générateur même des autres mouvemens. »

Voilà bien la caractéristique de la vie.

L’individu vivant porte en soi non seulement une activité propre, mais aussi un but précis à cette activité : le maintien et la défense de sa vie contre le milieu nocif et l’accroissement de cette vie jusqu’à la génération d’un nouvel être vivant, semblable à celui dont il est lui-même sorti.