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grand-officier. On ne l’écoute pas. Le Roi revenu, ses sollicitations recommencent. Il se donne comme un fidèle sujet et se recommande de Talleyrand et de Wellington. Mais on est mal disposé pour lui, non seulement en raison de son attitude pendant les Cent-Jours, mais aussi parce qu’une pétition adressée par sa femme au Roi, à l’effet de solliciter un secours, vient de révéler que, malheureuses et abandonnées, elle et sa fille sont les victimes de l’inconduite de ce malheureux.

En janvier 1816, il n’est plus qu’une épave. Il avait été mis à la retraite par l’Empereur ; malgré ses réclamations, on l’y maintient. C’est alors qu’il va offrir à l’ambassadeur d’Angleterre « de lui fournir des renseignemens. » L’offre est agréée. Mais, bientôt, la police avertie perquisitionne chez lui et chez sa maîtresse ; ses papiers sont saisis ; il est arrêté et détenu durant trois mois. Ses relations avec la police datent de là. Remis en liberté et inscrit au budget secret pour un traitement mensuel de trois mille francs[1], il rend compte des projets des ultras qui semblent n’avoir pas connu les péripéties de son existence antérieure. Il est en relations suivies avec Villèle et avec Corbière ; il devient, en plusieurs circonstances, l’intermédiaire entre eux et les ministres, en vue d’un rapprochement qui, d’ailleurs, ne s’opère pas, par suite des exigences de la faction. Finalement, il recevra en 1818 un prix inespéré de ses peines ; il sera nommé lieutenant général honoraire, distinction qui ne le tire pas de la situation misérable dans laquelle il se débat. Lorsqu’on 1843 il mourra obscur et oublié, on constatera qu’il a brûlé partie de ses papiers, vendu les autres, vendu aussi ses épaulettes, son épée et sa croix.

Il est extraordinaire qu’avec un passé tel que le sien, il ait pu se flatter d’être en relations confiantes avec le Duc d’Orléans. Il n’en est pas moins certain que la police ne mettait pas en doute ses dires, puisqu’il fut invité, en même temps que le membre de la Chambre des communes, — ils le furent à l’insu l’un de l’autre, — avoir le prince et à tâcher de surprendre sa pensée véritable. L’Anglais fut reçu à Twickenham le 5 mai

  1. Peu de jours après sa mise en liberté, il recevait une lettre du premier ministre anglais, lord Castlereagh, lui annonçant une gratification de 10 000 francs « pour vous indemniser des frais de détention. » Cette somme lui fut comptée par l’ambassadeur d’Angleterre, et il semble bien qu’il le fit savoir lui-même à la police comme gage de la sincérité des engagemens qu’il avait pris envers elle.