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contradictoires, au moins en ce qui touche les intentions des alliés : la preuve en a été faite depuis. Mais elles contribuaient à passionner les esprits, et à épaissir le mur d’inimitiés qui montait autour du trône des Bourbons. Pour que le trône put le dominer, il fallait que le Roi étayât ses moyens de défense d’une surveillance incessante dont la police politique serait, il le croyait, l’instrument le plus efficace, en le tenant sans cesse informé des propos et des projets de ses ennemis et de ces étrangers dont la présence sur le territoire français affaiblissait son autorité, dépopularisait son gouvernement et constituait un outrage à son pouvoir. Cette surveillance était la condition nécessaire de sa sécurité. Elle devait s’exercer à l’extérieur sur les bannis, qui, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Belgique, commençaient à publier des pamphlets et des libelles séditieux et desquels on pouvait craindre des complots ; sur Fouché, que la Légation de Dresde ne consolait pas de n’être plus ministre et qui s’y sentait menacé par la haine des royalistes ; sur le Duc d’Orléans, qui s’obstinait à ne pas rentrer sans vouloir dire pourquoi ; — à l’intérieur, sur les nombreux étrangers qui résidaient à Paris, sur les ambassades, sur les anciens serviteurs de Napoléon, que la proscription avait épargnés, mais dont il n’était que trop naturel de suspecter les sentimens, sur les chefs des ultras, sur Chateaubriand dont l’attitude était si souvent hostile, sur le savant Alexandre de Humboldt qu’on savait en relations avec les salons aristocratiques et qui peut-être ne s’y montrait pas favorable au gouvernement royal, sur tous les hommes enfin, les hommes de marque s’entend, qu’à tort ou à raison, on croyait plus ou moins inféodés à l’opposition.

La nécessité d’une police politique une fois démontrée, il n’y avait qu’à tirer parti de son organisation, telle qu’elle avait fonctionné sous l’Empire, en l’améliorant, en utilisant ses agens dont de gros traitemens assuraient la fidélité, et en se servant des instrumens qu’ils étaient accoutumés à manier. C’est ici qu’il y a lieu d’entrer dans le vif de cette organisation, résultat de l’expérience et où se confondent, dans un mouvement aussi régulier que celui d’une machine, les procédés les plus divers, dont les uns datent du règne de Louis XV, les autres des comités révolutionnaires, les derniers en date, de Fouché, passé maître dans l’art de gouverner un grand pays par des moyens de police.