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se répandaient en accusations, en invectives, en menaces, appelaient la foudre sur la tête des hommes politiques et des généraux auxquels ils imputaient le funeste retour de l’usurpateur, source des malheurs effroyables qui se déchaînaient sur la patrie. Cris de colère, excitations à la vengeance et à des châtimens implacables retentissaient de toutes parts, englobaient dans les mêmes fureurs les partisans de Napoléon et ceux de la Révolution, qui avaient voté la mort de Louis XVI.

Ces exigences de l’ultra-royalisme, qui allaient créer de si grands embarras à Louis XVIII pendant les années suivantes, et conduire, un peu plus tard, Charles X à sa perte, trouvaient déjà auprès de ce dernier prince qui n’était encore que Comte d’Artois, et auprès de sa belle-fille, la Duchesse d’Angoulême, des encouragemens et un appui. Les divisions auxquelles le pays était livré se reproduisaient dans la famille royale et obligeaient le Roi à se tenir en garde contre les menées occultes de son frère et de sa nièce.

Ce fut pis encore après la constitution du Cabinet Richelieu. Ce ministre et son collègue Decazes n’eurent pas de plus violens adversaires que les fanatiques qui s’agitaient autour du Comte d’Artois et leur reprochaient de ne pas vouloir mettre en pratique les doctrines ultra-royalistes. Cette hostilité contre toutes les tentatives de pacification et de rapprochement entre les factions rivales se manifesta dès le retour du Roi. L’envoi de l’armée impériale derrière la Loire ne fût pas seulement un acte de soumission à la volonté des alliés, ce fut aussi une satisfaction donnée au parti des ultras ; de même, la mise à la demi-solde d’un si grand nombre d’officiers uniquement coupables d’avoir combattu pour la France sous le drapeau impérial ; de même encore, l’ordonnance du 24 juillet 1815, qui proscrivit la plupart des notabilités révolutionnaires ou bonapartistes ; de même enfin le bannissement des régicides que prononça la loi d’amnistie, en exceptant des mesures de clémence et d’apaisement qu’elle édictait, ceux d’entre eux qui avaient signé l’Acte additionnel ou accepté des fonctions publiques pendant les Cent-Jours[1].

  1. Article 7 de la loi du 12 janvier 1816. Je n’ai pu reconstituer le tableau du personnel des régicides tel qu’il existait à cette date. Mais le voici tel qu’il fut dressé à la fin de 1820 : des juges qui avaient prononcé contre Louis XVI la peine capitale, 251 étaient morts ; 104 n’avaient pas été atteints par la loi, ou avaient été l’objet de mesures de grâce ; 2 avaient disparu sans qu’on pût retrouver leurs traces, et 100 restaient encore exilés.