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« Sire, il y a huit jours, j’ai osé représenter à Votre Majesté que c’est un état fâcheux et embarrassant que celui d’un de vos ministres, qui, n’ayant reçu aucune autre preuve de mécontentement de Votre Majesté, est privé de la liberté de lui parler à Elle-même sur tout ce qui doit le plus l’intéresser. J’ose ajouter aujourd’hui que l’état incertain où je suis nuit aux affaires de votre service dans mon département, surtout dans celui de Paris, où les subalternes ne savent à qui ils doivent obéir, du ministre actuel ou de celui qu’ils imaginent devoir être son successeur.

« Une troisième considération m’engage à demander à Votre Majesté la permission de m’expliquer avec Elle-même. Je quitte le ministère pour les mêmes raisons qui me faisaient craindre d’y entrer ; mais, dans ce moment décisif où il faut tout dire à Votre Majesté, je me crois obligé de lui avouer que mon amour pour la liberté et mon peu d’ambition n’étaient pas les seules causes de ma répugnance. Il est vrai que j’aime la liberté, mais je ne crains pas le travail, et Votre Majesté peut croire, d’après la conduite que j’ai eue toute ma vie, que je suis aussi sensible qu’un autre à la gloire la plus flatteuse, qui est celle de rendre au Roi et à l’Etat des services utiles… Je ne me suis donc refusé si longtemps à la place éminente à laquelle on voulait m’appeler que parce qu’il m’était démontré que je ne pourrais pas y remplir l’attente que Votre Majesté avait conçue de moi.

« J’en suis convaincu plus que jamais, depuis que j’ai vu les affaires de plus près. Or, sire, je ne puis m’empêcher d’observer que les raisons qui font désespérer à un ministre de pouvoir faire le bien méritent d’être connues du Roi ; et, si je n’ai pas pu vous servir aussi utilement que je l’aurais voulu, étant en place, il me semble que je suis dans le moment où je puis vous en rendre un plus considérable, en vous exposant au vrai la situation de mon administration[1]… »

L’audience réclamée par Malesherbes eut lieu à quelques jours de là[2]. Des paroles qui s’y échangèrent, nous connaissions seulement la phrase mélancolique échappée à Louis XVI en acceptant la démission de ce bon serviteur : « Vous êtes plus heureux que moi, vous pouvez abdiquer ! » Le Roi exigea

  1. Le brouillon s’arrête sur cette phrase.
  2. Journal de Hardy, passim.