Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/595

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans leur poursuite de la beauté, se précipitent d’un élan un peu brutal vers l’objet de leur amour. J’aime mieux cette impétuosité sauvage que les pudeurs hypocrites de nos impuissances.


VI. — DES INTELLECTUELS QUI SONT INTELLIGENS !

La dispute est éternelle entre les livresques et les réalistes, entre ceux qui apprennent tout de la vie et ceux qui ne cherchent la science que dans les livres. Quelles que soient ses lacunes, la première de ces éducations est la seule vraie, la seule qui atteigne son objet. Ceux qui ont commencé par les livres, qui n’ont que des notions scolaires des choses, sont obligés de rejeter au moule toutes ces formules, dès qu’ils arrivent à l’âge mûr : elles sont des caricatures et non des images de la réalité. Heureux ceux qui peuvent continuellement soumettre leurs idées à la critique des faits et qui ne voient dans une théorie abstraite qu’un prétexte à de nouvelles expériences !

Tout en combinant les deux éducations, les Barcelonais, en général, commencent par les leçons de choses.

J’en eus l’impression très nette, en parcourant leur Atenco, qui est d’abord un club très confortable et ensuite un des principaux centres intellectuels de la ville. J’y rencontrai des personnages qui, par leurs fonctions ou leur condition sociale, sont perpétuellement en contact avec tous les élémens actifs de la vie barcelonaise : des manufacturiers, des propriétaires, des directeurs de compagnies industrielles ou financières, des directeurs de journaux. Dans leur salle de conversation, décorée par les portraits des Catalans illustres, — véritable galerie des Ancêtres, — entre un moulage de la Vénus de Milo et de l’Apollon du Belvédère, l’un d’eux me disait : « Beaucoup d’entre nous ordonnent leur vie à l’américaine ! D’abord, ils ne se préoccupent que de travailler, de faire des affaires. Et puis, quand ils ont amassé une fortune, ils entreprennent de se cultiver. Notre cercle n’a pas d’autre but que de leur en fournir les moyens !

Effectivement, j’avais été surpris de l’importance de leur bibliothèque, où, avec une foule d’ouvrages techniques, figurent des livres de philosophie, de sciences exactes, de littérature, aussi bien les anciens que les modernes ; où une salle entière est affectée aux revues, — espagnoles, franchisas, italiennes,