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Joseph. Et c’est bien aussi ce que j’ai vu de plus fort, — je dirais volontiers de plus raide, — comme témoignage de l’imagination fougueuse des Barcelonais.

Leurs forgerons ont mieux réussi que leurs architectes. Là encore, les ancêtres furent pour eux d’utiles éducateurs. Pendant tout le moyen âge et la Renaissance, la Catalogne eut une serrurerie et une ferronnerie d’art, qui se soutinrent jusqu’en plein XVIIe siècle. Aujourd’hui encore, dans les musées, les édifices publics, les vieilles maisons du pays, on en peut admirer des échantillons, d’une beauté et d’une originalité singulières. Avec cette intelligence avisée qui les distingue, les Catalans du XIXe siècle ont entrepris de rénover cette industrie déchue, où leurs pères avaient excellé. Ils ont renoué sans peine la tradition : à présent, ils sont devenus de véritables virtuoses du fer, du cuivre et de l’acier. Ils fabriquent des lustres, des lanternes, des panneaux de portes, où les réminiscences médiévales s’allient fort habilement aux habituels procédés du modern-style. La richesse et l’ingéniosité de l’invention y confondent les timidités routinières de notre purisme. Mais, il faut bien en convenir encore une fois : tout autant que les architectes, — les serruriers et les forgerons catalans pèchent par la surcharge et la bizarrerie de leur imagination décorative. Regardez plutôt les réverbères du Paseo de Gracia : malgré l’intention évidente de les alléger et de les gracieuser par des courbes, des jours et des entrelacs, ce sont de formidables engins qui vous évoquent tout de suite les grues publiques de nos quais ou de nos ports de mer. Eh quoi ! une telle potence pour soutenir l’ampoule et le fil, délié comme un cheveu, d’une lampe électrique !… Au Tibidaho, dans la grande salle du restaurant, la moindre applique, le moindre portemanteau pousse une végétation ornementale si touffue, qu’il est impossible, au premier abord, d’en deviner l’usage. Devant ces becs d’éclairage, — qui ressemblent à des appareils à douches, à des tuyaux d’orgue, à des pompes aspirantes et foulantes, — on croirait que l’objectif de l’ouvrier, ç’a été précisément de vous empêcher de comprendre à quoi cela sert…

Débauche de mauvais goût ! diront les esprits chagrins. Soit ! Mais c’est un mauvais goût si joyeux, si vigoureux, qu’on est tenté de lui pardonner en faveur de son audace et de sa belle humeur. Comme le Centaure de l’affiche italienne, les Catalans,